Manifeste de la caravane

Brigade de la caravane —

Le théâtre de La Commune fait campagne sur : « il faut connaître la vie des gens » et « il faut rendre justice à la pensée des gens ».

Nous, étudiants, gens de théâtre, philosophes, groupe de gens gravitant autour du théâtre de la commune dirigé par la metteur en scène Marie-José Malis, avons décidé de prendre au sérieux la déclaration de jeunes gens d’aujourd’hui plusieurs fois entendue :

« La France, aujourd’hui, c’est mort. »

C’est sous le signe de la question ainsi ouverte de ce qui est mort en France aujourd’hui, que nous vous adressons, lecteur, ce manifeste. Le fondement de notre proposition, de notre campagne, est affirmatif, il est qu’il y a une capacité, une positivité inhérente à la vie des gens, et notamment à la vie des pauvres. Et c’est du point de ce fondement que nous vous proposons de lire l’ensemble de ce manifeste.
La vérité, c’est que ce sont les pauvres qui construisent le monde. Or ce qui règne dans le monde aujourd’hui, c’est la haine des pauvres, et tout est fait pour que toute capacité des pauvres et des gens en général soit niée, empêchée, contrecarrée, détruite, forclose de ce monde. C’est pourquoi nous ouvrons ce manifeste par une énonciation précise, une clarification brute, de ce qui pour nous aujourd’hui est mort. Faire le point sur ce qui est mort, sur ce qui empêche la capacité propre des gens de faire monde aujourd’hui est dans ce contexte la première tâche.
Nous nous donnons l’entière liberté de nommer l’ampleur de ce que nous n’acceptons pas, parce qu’il n’est pas vrai que le seul choix soit entre accepter ou partir, entre consentir et s’exiler. Nous ne sommes pas d’accord avec ce qui se passe dans ce pays, et nous restons ici. La situation telle qu’elle est aura à compter avec nous, à son corps défendant.
Il n’est pas vrai non plus que parce que nous vivons dans ce monde, nous devons simplement constater que nous aussi nous collaborons, que nous aussi nous sommes corrompus, et que nous n’aurions pas ainsi, sans pureté, le droit de dire que nous n’acceptons pas.
L’acceptation n’est pas un attribut indexé au simple fait d’être là. C’est une décision, toujours ; accepter, c’est décider que ce qui manque aujourd’hui – pour que le monde soit globalement habitable, pour que la vie soit universellement vivable –, n’est rien, n’a pas de valeur, précisément parce que ce n’est que de l’ordre du manque, parce que cela n’existe pas, ou n’existe plus, ou pas encore, et qu’à ce titre rien ne nous engage, à aucun titre, à travailler pour faire exister ce qui manque, à notre mesure. Autrement dit, accepter, c’est décider qu’il est normal que la vie ne soit pas vivable pour tout le monde, décider que « c’est comme ça », qu’il n’y a pas d’autre horizon pour tous que celui déjà constitué de tout ce qui aujourd’hui est mort. C’est, en un mot, décider la mort de toute hypothèse de capacité singulière des gens à décider du monde dans lequel ils désirent vivre.
Ne pas accepter, c’est, a contrario, décider de partir de ce qui n’existe pas et manque aujourd’hui cruellement, pour travailler à le construire d’une manière ou d’une autre.
Ensuite, nous faisons état de la séparation entre le théâtre et les gens, et nous formulons notre hypothèse quant à ce que doit être, en regard de tout cela, une des tâches fondamentales du théâtre dans la conjoncture actuelle, tâche du théâtre dans le monde, qui soit une tâche du théâtre pour lui-même, pour sa nouvelle naissance.
Le théâtre doit travailler, à sa mesure, à la création de ce qui aujourd’hui manque cruellement, création des lieux de délibération et de décision populaires. Ce travail se caractérise à nos yeux comme travail d’enquête pour le théâtre, c’est-à-dire comme forme nouvelle de connaissance du monde actuel, des gens qui y vivent et de leur pensée afin que puisse s’ouvrir une nouvelle puissance d’alliance entre les gens eux-mêmes, et afin que naisse une nouvelle alliance entre les gens et l’art du théâtre.
Nous clarifions notre conception de ce que doit être une « enquête » aujourd’hui, du point du théâtre, mais aussi du point des études intellectuelles, et le manifeste s’achève sur les propositions que nous voulons faire à tous ceux que nous rencontrerons, tous ceux qui nous lirons ou entendrons, tous ceux qui voudront discuter avec nous nos déclarations, nos énoncés.

En réponse à cet énoncé : – la France, aujourd’hui, c’est mort – ; nous déclarons ceci :

Nous n’acceptons pas de vivre et de travailler dans un pays dans lequel on sait très bien qu’une grande partie des gens qui y vivent ne sont pas comptés positivement par l’Etat, des mairies aux gouvernements successifs, mais sont au contraire envisagés par celui-ci comme des ennemis intérieurs, des gens à problèmes composant des populations superflues.

L’Etat en France mène une guerre aux pauvres et c’est inacceptable :

Nous n’acceptons pas que des gens parce qu’ils sont pauvres, parce qu’ils sont ouvriers, soient désignés par l’Etat comme non-Français, étrangers, musulmans… . Nous ne l’acceptons pas, car c’est la le signe d’une vaste ethnicisation de la politique qui envisage les problèmes de la vie collective non pas à partir d’un quelconque principe d’intérêt général, mais à partir de la discrimination « qui est Français, qui n’est pas Français », « qui appartient, fait partie du pays, qui n’appartient pas, ne fait pas partie du pays ». Sur ce point, nous disons, « la France, ce n’est pas les français, c’est tous les gens qui y vivent », nous n’acceptons pas que des populations qui vivent, travaillent, vont à l’école, etc, en France, soient envisagés comme extérieurs au pays, alors qu’ils en sont une réalité interne absolument précieuse.

Nous n’acceptons pas de dire que les enfants des quartiers populaires sont en échec scolaire alors que c’est l’école qui est en échec avec les enfants.

Nous n’acceptons pas que les gens pauvres soient envisagés comme des précaires responsables de leur chômage ou de leur RSA alors que c’est l’Etat qui détruit le code du travail, qui a cessé de donner une garantie qu’il y ait du travail pour tous ceux qui en ont besoin dans le pays.

Nous n’acceptons pas l’extrême violence qu’a été la négation de toute parole des gens, et en particulier des jeunes, qui n’étaient pas ralliés au mot d’ordre « je suis Charlie » dans le temps qui a suivi les crimes de janvier. Nous disons que le point de réel et de terreur de la situation ouverte par ces crimes a été l’absolutisation, même momentanée, de la dissymétrie totale, de l’inégalité radicale, entre ceux qui d’un côté avaient leur lieu pour s’exprimer et donner leurs raisons (manifestation du 11 janvier, etc), et ceux qui n’avaient aucun lieu, car aucun droit de donner leurs raisons de leur désaccord avec ce mot d’ordre, les caricatures ou bien la minute de silence imposée dans les écoles, etc. La situation générée par cette absence de lieux de délibération populaire a été particulièrement cruelle pour tout un tas de jeunes livrés de par leur âge et leur situation à la violence de l’Etat dans les écoles. Nous ne pouvons que saluer le courage de certains jeunes qui, extraordinairement conscients et lucides concernant l’absence de toute possibilité de discussion véritable comptant leur parole pour ce qu’elle est, et non pour un ralliement au nihilisme des jeunes criminels, ont tenu le point du refus de tout simulacre de discussion. Que le désir de construire des lieux qui interdisent la répétition, à l’avenir, de cette violence sans recours, soit un des fils directeurs du travail de la caravane.

Nous n’acceptons pas tout cela car c’est tracer une ligne de séparation très violente entre les gens de ce pays, entre les jeunes qui vont à l’école et les jeunes abandonnés à leur sort, entre les ouvriers français et les ouvriers immigrés, etc.

Nous n’acceptons pas que des milliers de réfugiés qui n’ont nulle part où aller, dont aucun Etat dans le monde ne se sent comptable de leur sort, qui n’ont en aucun point du globe la possibilité de se réfugier, soient maltraités en France, soient considérés comme extérieurs à la réalité du pays alors qu’ils devraient être envisagés, dans les circonstances mondiales actuelles, comme une réalité interne au monde et donc au pays lui-même, et être accueillis en conséquence.

Nous n’acceptons pas de vivre et de travailler dans un pays où nous avons chaque jour le sentiment de vivre sous occupation de l’Etat.

Cette dimension d’occupation du pays par l’Etat français, nous la voyons à l’oeuvre dans ces catégories étatiques absolument infectes et que nous rejetons, qui sont celles du « social » et du « culturel » :
– le « social », c’est l’idée que face aux difficultés du monde, les gens ont besoin d’être aidés, assistés. En vérité, les gens sont mis en situation de ne plus pouvoir se passer des dispositifs d’« aide » et de « soutien ». La faiblesse, l’impuissance se situe du côté des gens, et la force, la puissance, du côté de l’Etat. C’est ce que recouvrent des notions comme celle de « précarité » par exemple.
– Le « culturel », c’est l’idée que face à la pauvreté, les gens ont besoin d’être éduqués. L’ignorance du côté des pauvres. Le savoir du côté de l’Etat et des riches.

En vérité, cette vision des choses, qui n’est jamais le support de la résolution d’aucun problème, ne fait qu’enfoncer les gens dans l’isolement et l’impuissance, car elle n’est porteuse d’aucune hypothèse quant à la capacité propre des gens à trouver un chemin pour se compter dans le monde et peser dans ce qui s’y décide.
Ceci parce que toute politique digne de ce nom cherche en vérité à remettre la puissance de décision entre les mains des gens, et parce que tout art digne de ce nom cherche à se mettre à l’école du savoir des gens.

Nous disons que les séparations qui existent entre les gens actuellement sont graves parce que l’horizon de la vie à l’échelle du monde, c’est un horizon de guerre et de destruction des vies collectives et tout le travail de l’Etat français aujourd’hui c’est de trouver sa place dans cette situation de guerre des Etats contre leur population pour se maintenir en place, pour continuer à exister et tenter de se donner une dimension historique dans un contexte où il abandonne totalement sa fonction centrale qui est de garantir les possibilités minimum d’existence pour tout le monde.

Ce que nous n’acceptons pas, fondamentalement, et définitivement, c’est que les gens et leur vie n’existent pas, aujourd’hui, aux yeux de l’Etat : ce qui est manifeste depuis maintenant un certain nombre d’années, c’est que l’Etat a définitivement cessé de s’envisager comme comptable de garantir les conditions minimales d’existence digne pour l’ensemble des gens qui vivent en France, d’opérer un compte positif de la vie de tous qui que l’on soit, de tenir un quelconque principe, quand bien même minimal, d’intérêt général. Dès lors qu’il s’agit de gens vivants dans des villes, des quartiers, des lieux de vie populaires, d’ouvriers ayant toutes sortes d’origines ou d’ouvriers du monde, de jeunes en butte très tôt dans leur vie à l’échec total de l’école à se tenir à hauteur de ce qu’ils sont et de ce dont ils ont réellement besoin pour grandir et à la criminalisation étatique policière, ou de gens de toute sorte confrontés à des situations sans issues en terme de travail, de logement, etc, ce qui existe aujourd’hui aux yeux de l’Etat, ce sont des pans entiers de populations vivants en France qui sont à identifier comme « étrangers », « non français », « roms », « musulmans », ce sont des figures d’ennemis intérieurs à proscrire, à soustraire aux droits positifs, ce sont des catégories de populations superflues composées de gens à problèmes envisagés comme incapables de toute positivité dans leurs modes de vie et leur manière d’habiter la pauvreté. Le travail de l’Etat, dans toutes ses dimensions, est un travail de séparation, séparation de l’Etat, et séparation des gens entre eux.

Face à tout, à tout cela, nous cherchons comment faire du théâtre un nouveau soleil levant dans le monde.

Nous savons que le théâtre de la Commune n’existe pas aux yeux de la plupart des habitants d’Aubervilliers.

Nous avons deux choses à dire là-dessus :

Premièrement, le théâtre (acte et lieu) n’existe massivement pas aux yeux des gens, parce que les gens, la vie d’une grande partie des gens qui vivent aujourd’hui dans ce pays, n’existent pas aux yeux de l’Etat.

Le théâtre étant un lieu de l’Etat comme un autre, et les actes théâtraux continuant massivement à exister par la médiation de tels lieux, il n’y a en vérité aucune raison, absolument aucune raison, pour que le théâtre soit universellement identifiable comme ayant une existence positive, comme étant quelque chose qui de prêt ou de loin ait des raisons de nous concerner dans notre vie, nos désirs, nos pensées et les enjeux qui animent nos existences, qui que l’on soit. A ce titre il faut faire entièrement crédit au fait que si le théâtre n’existe pas aux yeux de la plupart des gens, c’est qu’il y a de bonnes raisons pour cela, et donc que d’une certaine manière les gens ont parfaitement raison de ne pas mettre aujourd’hui les pieds dans les théâtres. Les gens ne sont pas des « absents » du théâtre, mais au contraire, assez présents au monde pour être au fait de la séparation des lieux de l’Etat et des subjectivités que ceux-ci organisent, d’avec les enjeux qui composent leur vie actuellement.

Deuxièmement, le théâtre comme lieu doit trouver un chemin pour rendre justice aux gens dont la vie n’est aujourd’hui aucunement comptée positivement par l’Etat.

Rendre justice – qu’est-ce que cela veut dire ?

Premièrement, il n’y a que les gens eux-mêmes qui peuvent se rendre justice. Il n’y a rien, absolument rien à attendre de l’Etat, de ses institutions, qui soit de l’ordre de rendre justice à la vie des gens, à la dignité de la vie populaire qui compose des villes comme Aubervilliers.

Deuxièmement, ce que nous voulons faire c’est trouver un chemin pour que le théâtre soit un des lieux où les gens puissent trouver la ressource de s’appuyer sur leurs propres forces, en ressaisissant leur propre vie, leur propre pensée comme ouvrant à une capacité, une puissance de décision des gens eux-mêmes sur un certain nombre de choses importantes dans le monde actuel. C’est pour nous une tâche du théâtre comme lieu de délibérations et de décisions autant que comme création de formes.

Nous disons que ce qui manque aujourd’hui fondamentalement dans le monde, c’est l’existence de lieux de délibération populaires : de lieux où des gens de toute sorte puissent se rencontrer, discuter, délibérer au sujet du tort qui est fait dans ce monde, dans ce pays, à une grande partie des gens qui y habitent ; de lieux où les gens dont l’existence est niée d’une manière ou d’une autre puissent publiquement déclarer ce qu’ils ont sur le coeur et trouver dans cette capacité déclarative une ressource nouvelle, une force inespérée pour exister dans ce monde ; de lieux où de vastes discussions, même infiniment difficiles, entre des gens aujourd’hui séparés, voire divisés, ou qui vivent dans l’ignorance totale des uns envers les autres, soient possibles et portent à conséquence ; de lieux où les grandes questions, les grands problèmes qui ont trait à la situation générale actuelle de l’existence collective, questions et problèmes que chacun porte en soi plus ou moins douloureusement ou avec plus ou moins de désinvolture, soient enfin mis sur la table et objets de vastes délibérations collectives ; de lieux où toutes les choses dites, toutes les paroles déclarées, soient telles qu’elles nous mettent collectivement en demeure de travailler d’une manière ou d’une autre à trouver des solutions nouvelles aux innombrables situations sans issues qui blessent nos vies et aux impasses qui entravent dangereusement l’existence collective.
A ce titre, et à ce titre seulement, des lieux politiques. On ne peut pas prendre à la légère la question des usages des lieux existants aujourd’hui sans y perdre son âme, son intelligence des choses et sa probité. Par les temps qui courent, ou bien un lieu public comme un théâtre apprend et trouve une manière de prendre en charge, à sa mesure, ce type d’exigences, ou bien il s’agit d’un lieu mort qui travaille du côté des politiques d’Etat, de la séparation, contre les gens. Il n’y a pas de lieu neutre, pas d’alternative à ce choix-là. Quelques soient les formes que l’on peut trouver, du point d’un théâtre, pour rendre visible la vie des gens et rendre justice aux ressources de leur pensée, c’est dans cet horizon des choses que doivent, selon nous, s’inscrire ces formes, c’est-à-dire dans la tentative de faire un pas dans cette direction-là, et qu’elles passent donc nécessairement par une figure de déclaration des gens eux-mêmes sur leur propre vie et sur la vie actuelle, sachant que rendre possible l’existence, dans ce théâtre, de telles déclarations, constitue à soit seul un travail gigantesque et que rien ne nous assure par avance que nous soyons capable d’aller jusque-là.

C’est donc sous le signe de la nécessité de créer des lieux nouveaux capables de libérer des nouveaux possibles quant à la vie des gens et quant à l’invention théâtrale que nous avons décidé de mettre en place notre dispositif de caravane du théâtre.

Nous disons que ces deux choses composent les deux faces d’une même pièce, qu’elles sont les deux jambes d’une même démarche de la pensée active dans le monde pour aujourd’hui : il n’y a pas de formes théâtrales qui puissent aujourd’hui s’inventer et ouvrir le théâtre à une gloire nouvelle qui ne se tienne délibérément sous le signe d’une enquête quant aux formes nouvelles possibles d’organisation de la vie collective qui soit plus juste, plus belle pour tout le monde et qui se cherchent du côté des gens eux-mêmes.
Et il n’y a pas d’invention de formes nouvelles de la vie collective qui ne soit porteuse de possibilités de créations de formes théâtrales plus hautes que tout ce qui existe pour l’heure.
Quant au possible qu’il s’agit de libérer du côté de la vie collective, nous pensons qu’il existe une vie des gens telle que les gens décident en partie de la vivre, et une pensée des gens tout à fait singulière sur leur vie, qui composent une partie fondamentale et pourtant totalement niée de la situation générale actuelle. C’est-à-dire, une vie et une pensée qui existent, mais qui n’existent pas comme force, puissance, capacité propre à décider de ce qui doit être et ne pas être, de ce qui doit changer ou fonder l’existence de tous.
L’enjeu, la tâche majeure de la caravane est qu’une partie de la pensée des gens, et notamment des gens pauvres, des ouvriers, des jeunes qui ne font pas d’étude, des gens qui d’une manière générale ne sont pas dignement comptés pour ce qu’ils sont et font dans l’état actuel de la politique de l’Etat, et qui de ce fait sont souvent immédiatement aux prises et gravement confrontés aux difficultés de la vie actuelle, au caractère inhabitable du monde actuel, qu’une partie de cette pensée, donc, se ressaisisse elle-même comme capacité à décider de ce qui doit changer et de ce qui doit être quant à la résolution des problèmes généraux de la situation globale (problèmes liés au logement, au travail, aux réfugiés, etc, etc).

Aujourd’hui, le problème est que nul n’ose s’autoriser ce type de chose.

Ce qu’il s’agit de transformer, ce n’est pas la pensée des gens sur ce qui est bon et juste, ce qui est bien plutôt souvent le point à propos duquel il faut au contraire apprendre à se mettre à l’école de ce que les gens pensent ; ce qu’il s’agit de transformer c’est, pour les gens eux-mêmes, le rapport que l’on entretient tous avec l’état des choses du monde, parce qu’il s’agit fondamentalement d’un rapport qui réduit la pensée des gens à l’état d’opinion impuissante, tout juste bonne à s’exprimer dans des sondages d’opinion pour médias patentés ou sociologues ahuris.

À ce titre, circuler dans Aubervilliers avec notre dispositif de caravane, c’est organiser la rencontre avec les gens de manière à ce que le théâtre puisse s’inventer comme lieu nouveau où la pensée des gens devienne une capacité nouvelle dans le monde, une puissance de faire monde pour tout le monde.

Il s’agit de libérer, pour nous et pour les gens que l’on rencontre, la confiance dans le pouvoir immanent, la puissance intrinsèque que recèle la pensée des gens dès qu’elle se met activement au travail dans le but d’exister comme puissance, comme pouvoir de décision, qui est en quelque sorte indiscernable dans la situation parce qu’elle est recouverte par tout un tas de catégories. Les catégories dont on dispose aujourd’hui pour essayer de comprendre les choses ne naissent pas d’une abstraction juste de ce qui se dispose dans la pensée des gens mais ce sont des catégories de l’Etat qui, dans leur principe et leur finalité, n’ont rien à voir avec l’intérêt général, le bien des gens eux-mêmes, ce pourquoi elles viennent recouvrir et rendre indiscernable ce qui est juste et gros d’avenir dans la pensée des gens.

Les propositions de la caravane sont les suivantes :

Journal
Nous proposons à la discussion nos énoncés et nos textes, nos déclarations, à tous ceux que nous rencontrons lors des déplacements de la caravane. Notre idée est de composer, en partie sur la base de ces discussions, un petit journal, une feuille, où sera publié les réponses des gens à nos énoncés lorsque ces réponses prendront la forme de déclarations personnelles.

Déclaration
Nous proposons d’ouvrir avec ceux qui le veulent, individuellement ou collectivement, un temps de rendez-vous réguliers ayant pour objectif de donner forme à une grande déclaration personnelle des gens rendant compte de manière exhaustive de la pensée de chacun sur la situation actuelle, locale et globale.

Délibération populaire
Ce travail de grande déclaration ouvre un projet plus vaste : constituer le théâtre comme lieu d’une rencontre entre toute sorte de gens autour de l’enjeu d’une vaste délibération populaire à l’occasion d’une grande lecture publique des déclarations travaillées.
Aujourd’hui, si ce que pense les gens n’a pas de puissance propre, c’est parce que les gens sont séparés et la discussion de ce que chacun pense n’est pas possible à vaste échelle. Proposer un temps de délibération publique de toutes ses déclarations

Théâtre
Nous proposons qu’une rencontre, dont les modalités sont à inventer, entre les gens qui auront fait leur déclaration et gens de théâtre (metteurs en scène, acteurs, techniciens, etc) s’organise autour de ces déclarations. L’enjeu serait de d’examiner à quelles inventions de formes théâtrales, à quel renouvellement du travail de théâtre ouvrirait le fait de jouer, mettre en scène, etc, sous condition de ces déclarations, qui constituent pour les gens de théâtre autant d’enquêtes sur la vie et la pensée des gens aujourd’hui, et par conséquent autant d’énoncés à hauteur desquels le théâtre doit apprendre à travailler. Idée que ce type de rencontre ait pour enjeu que les metteurs en scène soient dans un type de travail avec les déclarations comme support de recherche de nouvelles formes qui soient à la hauteur des déclarations qui leur auront ainsi été confiées.