« Dans mon pays, je ne suis pas allé à l’école. Je travaille comme commerçant chez mon père.
Au moment où j’ai dû quitter le pays, ma compagne venait d’accoucher. J’ai un enfant, un petit garçon qui s’appelle comme mon père.
Actuellement, mon fils a 6 ans et demi et il vit avec ma mère au pays.
Mon père travaillait dans le commerce. Lui et mon oncle ont des magasins ensemble, au village. Ils possèdent aussi chacun une maison à la capitale qu’ils ont construite ensemble et qu’ils louent.
Moi-même, je travaille dans le magasin de mon père, qui est une sorte de grand bazar où on vend beaucoup de choses : des pièces de moto, des chaussures, des habits, du café, du sucre…
Mon père est mort du diabète, il avait environ 60 ans.
Mon père m’avait promis que j’hériterais à sa mort de sa maison de la capitale, et de son magasin. Sans ces ressources, ma mère, mes deux petits frères, mes deux soeurs et moi, nous n’avons aucun moyen pour vivre.
Le problème est que mon père, comme c’est la coutume chez nous, avait deux femmes. Ma mère est la première épouse. Au moment de la mort de mon père, mon oncle a épousé la deuxième femme de mon père et a refusé de nous donner la maison et le magasin qui devaient revenir à ma mère et à moi.
Je suis allé voir le chef de famille, qui est le grand frère de mon père. Mon oncle n’a rien voulu entendre. Je suis allé voir le chef de village pour qu’il négocie avec lui. En vain. Mon oncle n’a rien voulu entendre de lui non plus.
Il y a des tribunaux au pays. Pour nous, la justice est à 150 kms de notre village. Mais si tu n’as pas d’argent à donner à l’autorité, ce n’est même pas la peine de te déplacer, il n’y a pas de justice pour toi. En plus, le frère de la deuxième femme de mon père, est lui-même policier au commissariat de la capitale de la région. Donc ma tante et mon oncle ont la force de leur côté, contre ma mère et moi.
Je suis quand même retourné voir mon oncle pour lui demander ce qui doit nous revenir. Il a refusé et m’a menacé de me tuer si je reviens encore le voir. Ce jour-là, il m’a attrapé le bras et me l’a mis sur le feu, j’ai encore la cicatrice de la brûlure.
Mon oncle ne veut pas voir ma mère non plus.
Ma mère a très peur qu’il me tue. Elle m’a supplié de partir loin. Je suis parti, sans savoir où je pourrais trouver un lieu pour vivre et pour faire vivre toute ma famille, dont je suis le seul soutien maintenant que mon père est mort. Jamais, je n’ai pensé que je viens un jour en France.
Pour pouvoir voyager, j’ai volé 5.000 euros dans la caisse du magasin qui avait appartenu à mon père et qui aurait dû revenir à ma mère et à moi. Je suis venu à la capitale, j’ai logé chez un ami, tout à côté. Je lui ai dit que mon cas est urgent, il faut que je parte avant que mon oncle me retrouve. Il n’a pas eu le temps de me trouver un visa, mais il m’a trouvé une invitation pour l’Arménie.
Je suis d’abord parti en Tunisie par avion. De Tunisie, je suis allé au Koweit. Du Koweit à DubaÏ. Et de Dubaï en Arménie. Là, on me donne un visa d’arrivée de 21 jours. Après, on m’arrête, et je fais un mois en prison parce que le visa est fini.
Je veux passer en Géorgie. Après un visa de 2 semaines, on me renvoie en Arménie. Je ne sais plus quoi faire. Ma mère prend un crédit pour me faire faire au Gabon un visa pour la Turquie. Je récupère ce visa par DHL.
Je reste en Turquie 3 ans et 3 mois. Je travaille à Istanbul, dans le quartier de Kumkapi, pour fabriquer des sacs (en cuir ou en tissu), des ceintures, des chaussures.
Après, mon visa est fini, j’essaie de passer en Grèce en bateau. La première fois (je ne me souviens plus de la date), je suis arrêté et mis en prison.
La deuxième fois, je paie 1300 euros pour passer, j’arrive en Grèce, dans l’île de Samos, on est plus de 45 personnes dans le bateau, on met 4 heures pour traverser. Je fais 10 jours dans le camp sur l’île. En Grèce, on prend mes empreintes et on me donne un séjour de 1 mois, avec la menace de m’envoyer en prison si je reste au-delà. Là-bas, les prisons sont terribles, et ça peut durer des années – 3 ans, 5 ans, 6 ans.
Donc je vais à Thessaloniké. Là, tu trouves des gens qui te font passer la frontière. La première fois, je paie 600 euros, mais arrivés en Macédoine, la police nous a pris. Il a fallu repartir à zéro.
La deuxième fois, je paie 300 euros, je vais dans un supermarché, j’achète du pain, des sardines. Pendant 3 jours on marche. La nuit on a dormi, celui qui nous accompagnait est parti.
La troisième fois, je paie 800 euros pour aller jusqu’en Hongrie. On a marché 1 mois et 1 semaine. Après on nous laisse : on n’est pas encore en Hongrie, mais en Serbie !
Là, je paie 40 euros encore pour aller jusqu’à la frontière. Là, on nous dit : après ce petit bâtiment, c’est la Hongrie. On a mis 8 heures, de midi à 18 heures, pour arriver : chaque fois qu’on voit la police passer, on se cache.
En Hongrie on est allés dans un camp. Là, on a pris nos empreintes. La ville où on t’emmène, ça dépend de ta nationalité. Moi, on m’a envoyé à Debrecen. Là, je suis resté un mois. Tu fais la demande d’une carte. Après 15 jours, ils te donnent cette carte, avec laquelle tu peux circuler dans le pays. Sans cette carte, tu te retrouves en prison, pour 1 mois, 6 mois ou 1 an. Quand j’ai eu cette carte, je suis allé à Budapest. A Budapest, j’ai pris le train pour Gyor : Gyor, c’est la ville d’où on prend le train pour l’Allemagne. Le billet, c’est moins de 100 euros. Mais il y a beaucoup de clandestins dans la gare, dans les trains.
Là, j’ai rencontré une fille camerounaise. Je lui ai dit : tu vas voir, on va aller dans un magasin et on achète des habits, et on va passer comme si on était mari et femme. C’est ce qu’on a fait et on a réussi à passer.
Par contre, à l’arrivée en Allemagne, dès que tu es Noir, on t’arrête. Il y a beaucoup de policiers à l’arrivée dans la gare. Ils veulent que je fasse ma demande d’asile en Allemagne. Je refuse. Je veux aller en France, pas faire la demande en Allemagne, parce que le français, je parle. L’allemand, je ne connais pas du tout. Comment tu peux expliquer et défendre ta demande dans un pays où tu ne connais pas la langue ?
Mon histoire est simplement humaine. Je demande protection parce qu’il faut que je puisse faire vivre ma mère et ma famille, il n’y a que sur moi qu’elle peut compter et elle s’occupe de mon enfant aussi. La mère de mon enfant est mariée maintenant : elle avait seulement 18 ans quand l’enfant est né. Je lui ai dit de ne pas m’attendre, il faut qu’elle fasse sa vie elle aussi, tant qu’elle est jeune. Ma mère se bat bien mais elle est toute seule et elle compte pour vivre sur ce que je vais pouvoir lui envoyer. »