Eté 2018. « On était trois enfants à travailler ensemble »

« Ma mère habitait un village. Ma mère n’avait pas d’argent, mon père était mort depuis ma naissance, ma mère n’a pas pu m’envoyer à l’école quand j’étais petit. Quand j’ai eu 15 ans, elle m’a confié à un monsieur blanc d’origine Touareg, elle m’a dit qu’avec lui je pourrais étudier à l’école en échange d’un travail pour lui, mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça.

J’habitais dans la brousse, je suis devenu berger pour ce monsieur, je ne vivais pas dans un endroit fixe, je dormais dans un hamac qu’on accroche aux arbres pour dormir dedans. On était trois enfants à travailler ensemble. J’ai commencé à travailler à 15 ans, pendant un peu plus d’un an. Dès que j’ai commencé à pouvoir me débrouiller seul, j’ai quitté là-bas. Je suis parti à la capitale. J’ai arrêté ce travail parce que c’était très fatigant, il fallait marcher toute la journée, dès qu’on était à un endroit on quittait l’endroit directement. C’était des chameaux. Ils mangent les plantes. Dès que les chameaux se lèvent pour partir, on est obligé de les suivre. Beaucoup de chameaux : on ne peut pas les compter parce qu’il y en a trop. Il y a des gens pour ça : quand ils viennent, ils comptent les chameaux. Il y en avait plusieurs centaines. Nôtre tâche était de les rassembler, dès qu’il y a un qui s’écartait un peu trop, on le remettait dans le troupeau, il ne faut pas qu’ils aillent dans les villages, on les guide pour qu’ils restent dans la brousse. Pour trois enfants, c’était beaucoup de travail.

On mangeait des galettes de farine. Tous les jours le patron vient visiter, il nous apporte de quoi manger, de la farine. Une autre personne vient avec le patron pour prendre le lait des chamelles dont le patron a besoin. Il nous apportait de quoi faire cuire une galette de farine qu’on fait cuire en la recouvrant de sable, j’ai été très malade une fois, on mange ça chaque soir avec du lait de chamelle mais ça colle à l’estomac. Le patron ne nous a jamais rien payé, il apportait seulement la nourriture pour nous. Je ne pouvais pas envoyer de l’argent à ma mère pour l’aider, je n’ai pas été une seule fois à l’école, et je travaillais comme esclave pour le patron. C’est pour ces raisons que j’ai arrêté ce travail, sans prévenir le patron, car il n’aurait pas été d’accord. Je me suis enfui.

Ma mère n’a toujours aucune ressource, elle vit de la mendicité : elle demande de l’argent à droite et à gauche, grâce à ça mon petit frère a été à l’école, mais ma mère continue à vivre de la mendicité.

A la capitale, j’avais des amis : quand ils avaient besoin, je conduisais les ânes, soit pour conduire des gens, soit pour transporter de l’eau, mais sinon je n’avais pas de travail. Parfois je vendais des grands sachets dans les marchés, pour mettre les poissons, les habits et d’autres aliments. Quand j’avais un peu d’argent j’en envoyais à ma mère. Le problème est qu’à la capitale, je ne peux pas trouver un travail qui me permette de vivre dignement et de sortir ma mère de la mendicité. C’est pour ça que j’ai quitté le pays où je suis né et que je suis parti en France.

Chez nous, il n’y a aucun avenir possible pour la jeunesse pauvre et noire. Mon pays est aux mains de gens comme mon patron, le propriétaire des chameaux. Nous étouffons dans ce système où nous sommes traités comme des sans droits et victimes d’une ségrégation qui nous condamne à mourir vivants.

C’est pour cela que ma venue en France est pour moi une question de vie ou de mort. »