« Je vivais dans un village près de la frontière avec la Mauritanie, Je travaille aux champs. Je suis le seul fils de la première épouse de mon père, leur seul enfant survivant. De sa deuxième épouse, mon père a eu 5 garçons, plus jeunes que moi, mes demi-frères. La deuxième épouse ne s’entend pas avec ma mère, elle dit que ma mère est une sorcière parce que tous ses enfants sont morts, à part moi. Ses fils, mes demi-frères, m’insultent en tant qu’ils disent que je suis le fils d’une sorcière. Ma maladie commence quand j’ai 10 ans.
J’ai un problème au niveau “maladie occulte” : ici en France on appelle ça « schizophrénie ». Quand j’ai eu ma première crise à l’âge de dix ans, c’était comme si une ombre noire venait vers moi pour me faire peur. Mes proches ont essayé de guérir ça avec des marabouts, mais ça revient toujours. C’était un démon.
Avant que ça arrive, je faisais des cours d’arabe (études coraniques), là-bas les professeurs nous frappent. Quand les élèves se trompaient dans les sourates, les professeurs frappaient. J’ai été beaucoup frappé, avec un fouet, même des fois avec un gros bâton en bois. Je n’ai pas appris beaucoup de choses. Je suis resté 8 ans dans cette école, après avoir commencé à l’âge de cinq ans.
Ma famille était très pauvre, on vivait toujours dans la souffrance, côté matériel. Je ne mangeais pas toujours à ma faim, l’agriculture ne suffisait pas pour toute l’année. Mon père est cultivateur, de base. Quand il n’y avait pas assez de nourriture, on restait souvent sans manger pendant deux jours, pour économiser la nourriture, et on mangeait seulement après. C’était la seule solution pour ne pas tout manger et mourir de faim après.
Les persécutions contre moi dans ma famille ont commencé avant ma maladie, elles ont commencé depuis que je suis enfant jusqu’à ce que ma maladie arrive.
Comme j’ai expliqué, j’étais le seul fils de ma mère, qui avait perdu tous ses autres enfants, donc mes demi-frères disaient que j’étais le fils d’une sorcière. Ils se mettaient tous sur moi pour me frapper, parfois ils utilisaient des couteaux ou des pierres pour me blesser, les cinq garçons ensembles. C’était moi le plus grand, mais personne ne voulait marcher avec moi, personne ne voulait me respecter. J’ai eu par exemple une blessure au ventre, heureusement ce n’est pas allé très profond et je n’en ai aucune trace.
Ma mère me disait de les laisser à Dieu (mes demi-frères). Elle ne me protégeait pas et me disait seulement de ne pas entrer dans leur jeu, de les “laisser à Dieu”.
La coépouse disait à ses enfants de continuer. Quand ma mère entendait ça, elles s’embrouillaient et se battaient ensemble, elles se sont fait la guerre. Elles se battaient physiquement, surtout quand j’étais brouillé avec mes frères.
La coépouse défendait toujours ses enfants : même quand j’avais raison, elle disait que j’avais tort. Mon père leur a parlé et leur a dit que je suis le grand frère, qu’il faut m’écouter. Quand il me donnait une responsabilité, il me donnait des instructions pour l’agriculture, mais mes demi-frères refusaient de m’obéir quand je leur transmettais.
Ma mère meurt quand j’avais 13 ans. Quand ma mère est décédée, je ne m’entendais plus du tout avec ma famille, plus du tout, du tout.
Mes demi-frères ont continué à être jaloux de moi, du fait que j’étais le plus grand et que mon père me donnait toutes les responsabilités. J’ai continué à faire de l’agriculture, mais j’ai arrêté les cours d’arabe. Quand mon père m’envoyait faire des tâches, je le faisais : il m’envoyait dans certains villages pour récupérer des choses, pour faire passer des messages, je prenais la moto, et je partais. Par exemple quand il pleuvait beaucoup, je devais acheter certains produits, pour la culture, pour protéger ce qu’on cultivait. Je m’occupais de trois champs, deux petits et un grand. On faisait du maïs et du mil. Mes demi-frères travaillaient sur les mêmes champs que moi. Ils ne m’écoutaient pas, on travaillait chacun de notre côté, moi je voulais des fois les suivre, mais eux ne voulaient pas être avec moi. A cause des sécheresses, on n’avait jamais assez de récolte pour toute l’année.
Un jour, mes demi-frères ont payé des bandits qui m’attendaient au champ pour me tuer. Dieu a fait qu’ils ne m’ont pas eu, mais dès que j’ai su ça, j’ai pris mes affaires pour me réfugier à la capitale de région C’est un ami à moi qui m’a averti, en me disant : “ils ont fait tous les coups pour te faire du mal, ils n’ont pas réussi, du coup ils ont engagé quelqu’un pour te tuer”.
J’avais à peu près 30 ans. Mon demi-frère le plus âgé avait alors 29 ans. C’est mon père qui leur donnait des sous pour leur usage, comme à moi : ils ont réuni cet argent contre moi. Les bandits m’ont suivi jusqu’à la capitale de région où je vivais. Je suis parti à la capitale du pays pour travailler afin de réunir l’argent pour aller au Maroc. Mon père n’est pas venu me chercher. A la capitale, je suis resté pas plus de trois semaines.
Après, je suis parti en voiture en Algérie. J’ai payé des gens qui m’ont emmené. J’ai travaillé pour quelqu’un dans le jardinage. Je suis resté un mois là-bas. J’ai économisé mon argent en Algérie et puis je suis parti au Maroc. On était plusieurs à marcher jusque là-bas. J’y suis resté environ trois mois. Dans une forêt. A côté de la capitale. Je me promenais dans la rue, les policiers nous ont beaucoup fatigués, quand ils nous attrapaient ils nous frappaient, nous enfermaient et nous relâchaient. On allait en « refoulement » : on nous prenait notre argent et on nous frappait. Le refoulement se passait dans le commissariat. Cela m’est arrivé cinq fois à peu près.
Après, on a pris le bateau pour aller en Espagne. Je suis resté une semaine, dans un camp de la Croix rouge. Après je suis venu en France, en TGV.
Ce qui me tracasse c’est que, dans ma tête, je ne suis pas stable, je sens que je suis malade. Pendant longtemps, ça allait mieux, mais ça a recommencé en France. Même là, actuellement, ça ne va pas bien. Je suis au foyer dans Paris, avec mes “grands frères” qui ne sont pas de la même famille, mais qui sont du même pays que moi.
Au foyer, je dormais dans un couloir, puis dans une chambre. La maladie a commencé à l’heure où le soleil se couche, les gens ont dit que j’ai voulu me jeter par la fenêtre, ils m’ont attrapé et ont appelé les pompiers : je ne me rappelle pas de tout ça. Je suis resté à l’hôpital psychiatrique 2 ou 3 jours, j’ai pris des médicaments, après ça j’allais un peu mieux.
Retour au foyer. Depuis, je ne vais pas très bien, je suis avec les gens, mais mentalement je ne suis pas là. C’est pour ça que je vous parle. »