Eté 2019. « Après le décès de notre mère, nous sommes allés chercher de quoi survivre dans la rue »

« Au moment de ce récit, je vais avoir 20 ans.

Je parle le français couramment et le bambara.

Je suis le plus âgé de mes frères et soeurs. Depuis l’âge de 14 ans, j’ai aidé mon père à travailler au champ. Mon père était employé, le champ ne nous appartenait pas. Le travail que faisait mon père était très dur physiquement. Il devait retourner la terre et la boue avec les mains, c’est une méthode de chez moi qui n’existe pas ici et qui demande une grande force physique. Mon père faisait ce métier depuis 10 ans.

J’avais 18 ans quand mon père est décédé du paludisme. En effet, comme il travaillait beaucoup dans la boue, il y avait de nombreux moustiques, et il a attrapé la maladie comme cela. Nous nous sommes retrouvés, ma mère et mes cinq frères et sœurs, sans ressource. Mon père était employé, il n’avait pas d’argent de côté. Moi je ne pouvais pas reprendre le travail de mon père : son ancien employeur n’a pas voulu m’engager car je n’étais pas assez fort physiquement pour assumer les tâches que faisaient mon père. Ma mère a commencé à se débrouiller pour nous nourrir en vendant des condiments, mais c’était difficile. Moi je restais à la maison pour m’occuper de mes frères et sœurs. Mes deux frères et mes deux sœurs ont fréquenté l’école jusqu’à la mort de mon père, puis ils ont arrêté car notre mère n’avait pas les moyens de continuer à payer les études. Moi, je ne suis jamais allé à l’école, j’aidais mes parents à la maison et au champ car j’étais le plus âgé.

Deux mois après le décès de mon père, ma mère est décédée car elle avait trop de tension. Ma petite sœur n’avait qu’un an. Ma mère est devenue faible, puis a été hospitalisée. Elle est restée 2 semaines à l’hôpital, puis elle est décédée là-bas. Quand elle était à l’hôpital, je m’occupais de mes frères et sœurs avec le peu d’argent qu’elle avait économisé. Après son décès, nous sommes allés chercher de quoi survivre dans la rue, nous demandions de l’aide, de la nourriture et de l’argent aux passants. Nous ne pouvions plus payer le loyer de notre maison. Le propriétaire nous menaçait de nous expulser.

Nous avons essayé de survivre comme ça pendant 8 mois. Personne de notre famille, ni de notre entourage n’est venu nous aider. Nous étions seuls. En effet, mes parents viennent d’un village dont il est parti alors que j’étais encore tout petit. Quand il a quitté le village, sa famille a désapprouvé. Voilà pourquoi nous étions seuls. Lui avait voulu partir pour trouver du travail en ville, car il n’y en avait pas au village. Chez moi, c’est très compliqué de trouver du travail si tu ne connais personne. Je ne trouvais donc rien. Au bout de 8 mois, voyant que je ne pouvais pas trouver de travail ici, j’ai décidé de quitter chez nous, pour aller chercher du travail en Europe, et subvenir aux besoins de mes frères et sœurs. C’est à moi de faire cela car je suis le grand. J’ai choisi de partir en France, car je parle bien la langue depuis l’enfance et qu’on m’a souvent dit qu’il y avait besoin de main d ‘œuvre pour les travaux difficiles en France.

Donc en septembre de cette même année, j’ai quitté le pays où je suis né. Avant de partir, j’ai dit à mes frères et sœurs que je partais en voyage et que je reviendrais bientôt, pour ne pas les attrister. J’avais confiance en eux pour bien s’occuper les uns des autres, je leur avais tout appris pendant les 8 mois où nous étions seuls.

Je suis parti de chez moi jusqu’à Agadez au Niger. Je suis passé par Abidjan pour rejoindre Agadez en camion. J’ai mis une semaine. Je suis arrivé à Agadez vers la fin septembre. Je suis resté 2 mois à Agadez où j’ai travaillé pour un passeur burkinabé, qui devait m’aider à partir car je n’avais pas d’argent pour le voyage. J’ai travaillé pour financer mon voyage. J’effectuais divers travaux manuels : ménages, garder les moutons, manutentions, transports de matériel…Je suis parti à la fin du mois de novembre.

Ensuite, j’ai traversé le désert pendant une semaine par camion avec un groupe de gens pour rejoindre Sabha en Lybie. J’ai duré un mois à Sabha où j’ai travaillé pour un autre passeur, un Malien, en effectuant encore des tâches manuelles. Je suis resté tout le mois de décembre à Sabha. Jusqu’à mon arrivée en France, j’ai travaillé à chaque fois là où j’étais, pour payer mon voyage vers où je voulais aller.

En janvier, j’ai fait Sabha – Tripoli. Les passeurs nous ont fait changer de camion souvent, pour continuer la route. J’ai mis une semaine pour arriver à Tripoli.

Je suis arrivé le 10 janvier à Tripoli et nous avons directement embarqués vers l’Italie en zodiac. Le voyage a duré quatre jours.

Je suis arrivé en Sicile le 14 janvier. La Croix Rouge nous a envoyés à Milan dans un centre d’hébergement. Je suis resté dans le centre durant un mois jusqu’au 10 février. Je n’ai pas fait de demande d’asile en Italie. Je voulais partir en France. J’ai économisé le peu d’argent qu’on nous donnait à la fin de chaque semaine dans le centre, pour payer mon voyage vers la France.

J’ai d’abord fait Milan-Vintimille, puis Vintimille-Nice en train, où on nous a cachés. Puis Nice-Marseille, en train, où nous étions encore cachés. Puis j’ai payé le ticket pour le train entre Marseille et Paris.  Le trajet entre Milan et Paris a duré une semaine. Je suis arrivé en France, à Paris, le 20 février.

Aujourd’hui, je m’inquiète beaucoup pour mes frères et sœurs. J’appelle régulièrement mon frère de 14 ans, qui est devenu le chef de la famille. Je lui explique que je suis en Europe et que je cherche du travail pour leur envoyer de quoi survivre. Ils comptent tous beaucoup sur moi. Ils ont aujourd’hui 14, 12, 10, 7 et 2 ans pour la plus jeune de mes sœurs. Le propriétaire de la maison les a mis dehors il y a quelques mois, ils dorment à droite à gauche dans des hangars. J’aimerais pouvoir rapidement les aider et leur envoyer de quoi être à l’abri. D’autant que ma plus petite sœur n’a que 2 ans.

Je demande l’asile en France car je n’ai aucun espoir de pouvoir aider ma famille si je reste dans mon pays de naissance. »