Eté 2019. « Je ne suis pas parti par choix, mais contraint et forcé »

« Je voudrais d’abord souligner un fait notable concernant ma vie au pays dans mon village : j’étais forgeron de profession, je partageais un atelier dans ce village avec mon frère, et nous fabriquions tout ce qui concerne les parures : des bracelets, des boucles d’oreille, les montres, des bagues, des chaînes, etc., le tout avec de l’or ou de l’argent apportés par les clients. J’étais par conséquent quelqu’un de riche dans mon village, au point que j’ai pu m’acheter un troupeau de trente moutons et payer un berger qui gardait quotidiennement mon troupeau dans la brousse. J’ai maintenant 35 ans. Etant un homme riche avec un vrai métier particulièrement rentable, ce qui constitue une situation relativement exceptionnelle au pays, je n’aurais eu aucune raison de le quitter et de venir en France demander l’asile si je n’avais pas vécu des événements relatifs à la guerre qui sévit chez nous depuis 2011.

Le deuxième point que je voudrais souligner concerne la guerre dans le Nord du pays. Des djihadistes sont toujours présents près de notre village, puisqu’en janvier dernier, l’armée française a effectué des frappes aériennes dans cette zone.  Cette année-là, les djihadistes ne vivaient pas cachés, ils étaient omniprésents jour et nuit chez nous ainsi que dans d’autres villages, où ils faisaient régner la terreur. Je ne suis pas parti par choix, mais contraint et forcé : celui qui refusait de se rallier aux djihadistes et de prendre les armes à leurs côtés quand ils l’exigeaient était en danger de mort.

Voici le récit exact des événements qui me sont arrivé : un jour d’octobre 2018, j’étais à l’atelier en train de travailler avec mon frère, lorsque des hommes masqués et armés sont venus nous attaquer dans l’atelier. Ils étaient nombreux, sept personnes sont entrées dans l’atelier. C’était des Touaregs de l’Azawad, mélangés avec les djihadistes. Ils nous ont dit quelque chose à moi et mon frère, mais on ne pouvait pas comprendre car nous parlons peulh et eux la langue des Touaregs. J’avais trente chèvres et moutons, ils ont tout pris.

Quand ils sont venus, ils ne nous ont pas demandé notre avis, et ceux qui refusaient étaient pris de force, on nous a pris tout notre or, mais on ne nous a pas frappés. On nous pointait seulement avec les armes. Les hommes nous ont mis dans le véhicule, on était obligés de monter, ils ont dit que maintenant on va ensemble, on travaille ensemble, on n’a pas le choix. Ils parlent un peu français et nous aussi on parle un peu français, c’est comme ça qu’on pouvait communiquer. Avant ce jour, les djihadistes me poursuivaient déjà un peu, ils exigeaient de nous de les rejoindre, que si on les rejoint ils ne nous tueraient pas. Ils nous ont dit de travailler avec eux et que si on le fait, ils nous paieraient après. Ils ont dit qu’on n’est pas des bons musulmans, que c’est eux les vrais musulmans, qu’il faut rejoindre leur religion. Ils nous ont donné des cours pour se servir des armes.

On était plusieurs prisonniers, mais dispersés par groupes, dans mon groupe on était quatre prisonniers, moi, mon frère et deux autres personnes. Chaque jour, on nous donne le tabac qu’on doit prendre obligatoirement, avec de la drogue. Chaque jour on se déplaçait, on ne restait jamais au même endroit. La plupart du temps on était dans la forêt. On se déplaçait toujours en voiture. Pour dormir, on nous faisait allonger par terre, on nous enchaînait les bras mais pas les jambes. La journée, on avait les mains attachées.

Pendant la nuit, le dixième jour, vers quatre heures du matin je me suis levé ; après, j’ai couru jusque vers 10 heures du matin. Au moment où je courais, j’ai un genou qui s’est déplacé. Actuellement il n’est toujours pas remis. A ce moment il y a un berger qui m’a vu, après il m’a demandé qu’est-ce qu’il y a, j’ai dit que j’ai été avec les djihadistes pendant plusieurs jours. Il m’a demandé, j’ai dit que je suis avec mon frère mais que je ne l’ai pas vu. Il m’a dit « viens avec moi ». Je suis parti avec lui, il m’a emmené dans sa maison. Pendant 15 jours j’ai attendu pour voir si je trouve mon petit frère, si je ne le trouve pas, je vais partir. Ils sont partis avec mon frère définitivement, on ne l’a jamais revu. Je ne sais pas si les djihadistes ont essayé de me retrouver ou pas. Au bout des quinze jours, le berger m’a dit « je te donne l’argent, tu vas en Mauritanie ou au Sénégal, comme tu veux ».

 Je suis parti en Mauritanie, j’ai continué à travailler comme forgeron pendant deux ans à Nouakchott. La Mauritanie n’est pas un pays si bien que ça, je pensais tout le temps à mon frère et je n’allais pas bien. J’ai décidé de quitter complètement l’Afrique et de venir en Europe. J’ai quitté là-bas et j’ai continué jusqu’au Maroc puis j’ai pris le bateau pour l’Espagne. J’ai quitté le Maroc le 16 octobre et je suis arrivé le lendemain en Espagne. Dans le bateau, c’est la Croix-Rouge qui nous a sauvés, je suis resté cinq jours dans le camp de la Croix-Rouge en Espagne. Après, on nous a libérés, ils m’ont demandé « Est-ce que tu restes ou tu pars dans quel pays ? » J’ai dit qu’en français, je peux me débrouiller, mais en espagnol je ne comprends rien, que je vais donc continuer en France. Ils m’ont emmené jusqu’à la frontière, je suis rentré en France par Bayonne. Après, j’ai pris le bus puis le train. »