De la nécessité de recréer des dispensaires aujourd’hui
Il existe aujourd’hui une grande séparation entre la médecine et les gens. Cette situation, que nous sommes beaucoup à avoir rencontrée ces dernières années, à différents endroits, dans différentes circonstances, est rendue plus visible encore aujourd’hui avec l’épidémie de covid-19. Mais cette épidémie ne fait que grossir des problèmes déjà existants, notamment la difficulté d’accès aux soins pour les gens qui viennent d’arriver en France. Ainsi, on constate que les maraudes et camions d’associations comme Médecins du monde, la Croix rouge ou autre pallient à l’absence des lieux de soins qui seraient nécessaires aujourd’hui.
Que la médecine et les gens soient séparés, cela a des conséquences graves et difficiles pour ceux qui ont à faire aux structures de soins : que ce soit pour eux-mêmes ou pour leur famille, que ce soit en raison d’une maladie, d’une grossesse ou encore de la vieillesse. Que la médecine et les gens soient séparés cela veut dire que chacun est de son côté, avance sur son chemin, mais manque de l’autre. Du côté de la médecine, la parole et les idées des gens ont trop peu de place, que ce soit dans les décisions de soins, dans l’organisation du système de santé ou encore dans la pensée globale de ce que sont la santé, la maladie et d’autres grands événements de la vie comme la grossesse, la naissance, la vieillesse et la mort. Du côté des gens, ce sont les connaissances médicales qui ont trop peu de place, qui sont trop peu connues de tous.
D’un côté donc, la médecine avance sur son chemin et invente de grandes techniques et de grandes technologies pour pouvoir soigner de plus en plus de maladies (dépistage, diagnostic, nouveaux traitements). Toutes ces découvertes sont précieuses et ne doivent pas être rejetées, au contraire. Mais elles ne peuvent, à elles seules, prendre la tête de la médecine, elles ne peuvent passer devant le malade. La médecine ne doit pas reposer toute entière sur ces avancées scientifiques, au risque de se perdre dans une suture avec la science où sont oubliés la clinique, les gens et ce qu’est leur vie. Il est essentiel que soit interrogée toute découverte scientifique à visée médicale du point de la médecine elle-même, c’est-à-dire en lien avec les gens. Certaines thérapeutiques médicamenteuses ne peuvent aujourd’hui être considérées comme relevant de la médecine ou du moins comme répondant à elles seules à un problème médical (on peut citer en exemple les psychotropes, l’analgésie péridurale et bien d’autres encore). S’il est certain que ces éléments sont de véritables inventions scientifiques, il reste à savoir dans quelle mesure elles peuvent être des inventions pour la médecine.
Le sens de la médecine est en partie ailleurs. Il est dans la clinique. La clinique qu’est-ce que c’est ? C’est quand le médecin est auprès de la personne qui a besoin, à son lit. Clinique, cela vient de clinicus, en latin (langue qui existait avant le français), qui veut dire « alité », « au lit ». La clinique, c’est quand le médecin vient au lit du malade et qu’il travaille à échelle de sa personne toute entière, en prenant en compte tout ce qu’elle est : avec sa maladie, mais aussi son histoire, sa vie, sa vision du monde… C’est une part très importante de la médecine, mais qui est en train de se perdre et qu’il faut retrouver. Il n’y a qu’avec le malade, qu’auprès de lui, que le médecin peut être au plus juste : comprendre qui se trouve en face de lui, comment la maladie se traduit chez lui en particulier, connaître ses désirs vis-à-vis de la situation, écouter ses peurs et ses questions. Sinon la personne est très vite réduite à sa maladie – voire même à la partie d’elle qui est malade –, et qui elle est, reste oublié derrière. Pour connaître une personne et ce qui lui arrive, il faut le temps de l’écoute. L’écoute par l’oreille, de sa parole. L’écoute par les mains, de ce que son corps dit par ses symptômes. Les maladies, la grossesse ou encore la vieillesse ne sont jamais entièrement connues. Même si nous avons beaucoup de connaissance dessus, il est impossible de savoir comment elles se présenteront et se passeront pour une personne en particulier. C’est ce qui fait que chaque rencontre est source de connaissances nouvelles. Plus on voit et on entend, plus il est possible d’apprendre. Dans l’écoute, la question n’est pas d’être humain ou empathique, mais de soulager l’autre, d’apprendre, de nourrir son expérience, d’affiner sa pensée des maladies et de la vie à partir des nouvelles idées qui surgissent. Ainsi pensée, toute rencontre avec un patient peut servir à tous ceux qui le suivront. Si la personne n’est pas écoutée, par l’oreille et les mains du médecin, elle devient passive, simple objet de tests et de traitements. Le rôle de tout soignant est d’accompagner, d’écouter, de comprendre la vie de la personne et ce que l’événement de sa maladie, de sa souffrance psychique, de sa grossesse ou de son vieillissement prend comme sens pour elle : qu’est-ce que cela transforme, change ? Qu’est-ce que cela apprend ? Qu’est-ce qui peut aider, être un soutien dans ce moment de vie ?
Si la clinique aujourd’hui se perd, c’est pour au moins deux raisons.
La première, c’est qu’aujourd’hui, la confiance est plus grande dans les technologies et les machines que dans les hommes. Ainsi on accorde toujours plus d’importance à ce qu’on voit aux imageries (scanner, IRM, échographies), aux tests sanguins, au monitoring, etc. qu’à ce que dit et ressent une personne sur ce qui lui arrive. On perd la confiance dans les gens, dans leur savoir sur ce qu’ils traversent et dans ce qu’ils peuvent en dire. De même, on perd la confiance dans ce que les années de travail et l’expérience de certains soignants leur apportent de connaissances. Or ces connaissances acquises au fil du temps – par des yeux qui ont vu des milliers de personnes, des mains qui ont examiné des milliers de corps et des oreilles qui ont entendu tant de paroles –, ces connaissances sont souvent bien plus fines et précises qu’une machine mal utilisée. Face à cela, nous devons affirmer que les technologies ne sont bienvenues que lorsqu’elles sont pensées à partir de la pratique médicale, du travail des soignants eux-mêmes, afin qu’elles le facilitent et le prolongent et non qu’elles le rendent impossible, incompréhensible ou insensé. Et au-delà du bénéfice technique, elles doivent pouvoir apporter confiance et confort aux gens, car la médecine ne doit pas faire naître les craintes, comme le fait l’hôpital aujourd’hui.
La deuxième raison est que de grandes économies ont été faites ces 40 dernières années sur le système de santé, par les différents gouvernements. Cela a eu pour conséquence de supprimer le temps nécessaire pour être vraiment auprès des patients et apprendre à les connaître. La fermeture des petits hôpitaux et le regroupement en grandes structures hospitalières a laissé peu à peu place à une organisation du soin à la chaîne. Dans les années 1970-1980, de nombreux soignants ont dénoncé, par exemple, la suppression des petites maternités au profit de ce qu’ils ont appelé des « usines à bébés », où les naissances s’enchaînent et la patience de l’accompagnement se perd. Beaucoup de soignants souhaitent bien faire leur travail et le font au mieux dans les conditions qui sont les leurs. Mais malgré leur dévouement, leur temps qu’ils sont nombreux à ne pas compter, ils sont confrontés à des obstacles : une grande division du travail qui les enferme dans des tâches très précises, une pression médico-légale – la peur du procès – qui impose des heures passées devant l’ordinateur, une grande absence d’orientation collective et pour finir un manque de disponibilité aux personnes, qui résulte de toutes ces faiblesses, de toutes ces pertes de temps. Ce qui fait avant tout défaut aujourd’hui à ces lieux (à échelle d’une équipe, d’un service, d’un hôpital), c’est une orientation commune du travail, un état d’esprit collectif. Les réunions et discussions nécessaires à décider d’une telle orientation générale, ainsi que celles indispensables pour suivre au jour le jour chaque patient, sont absentes. Cette situation laisse chacun face à sa tâche. La coordination et le relais entre les équipes, mais aussi entre aides-soignants et infirmiers, entre infirmiers et médecins, manquent trop souvent et sont hypocritement remplacés par des transmissions à l’ordinateur, dont l’enjeu est souvent moins d’informer les collègues que de laisser une preuve qu’on a fait notre part. Dans les EHPAD, par exemple, les équipes obtiennent des points quand ils écrivent des observations dans un logiciel (NETSoins, pour certains). Ces points servent ensuite à quotter leur établissement. Une des conséquences de ce système est que s’y trouve une quantité d’écrits indigestes pour les autres collègues – qui ne peuvent rester des heures devant l’ordinateur pour tout lire. Par ailleurs, toutes les observations ne se valent pas en termes de points : celles concernant les pensées noires et idées suicidaires des patients sont particulièrement bien quottées. Le prétexte en est d’inciter les soignants à faire attention à ces phénomènes, mais est-ce que cela n’amène pas les équipes à ne faire attention plus qu’à cela ? De plus, du fait de l’existence de ces logiciels, les cahiers de transmission sont parfois interdits dans les services, sous prétexte qu’ils ne soient pas assez confidentiels. Mais ces cahiers sont bien plus simples à utiliser pour les équipes que beaucoup de logiciels existants : il n’y a pas besoin de mot de passe et pas d’accès différent aux données selon qu’on soit médecin, infirmier ou aide-soignant.
Or pour bien connaître, suivre et soigner un patient, il faut que chacun puisse partager ce qu’il a appris d’important sur lui : les médecins, mais aussi les infirmiers, les aides-soignants, les brancardiers et ceux qui font le ménage. Car chacun a souvent des connaissances très différentes et très précieuses pour connaître un patient. Mais si ce travail commun n’existe pas, tout le monde se trouve anonyme à l’hôpital : les soignants sont seuls face à leur travail et les patients, que personne ne connaît vraiment, ne voient que très rarement deux fois la même personne en raison d’une grande rotation du personnel. Cette rotation du personnel touche, de surcroît, principalement ceux qui se trouvent le plus au contact des malades : les aides-soignants, les infirmiers et les internes en médecine. Dans ces conditions, ce sont les patients et leur famille qui tentent de remplacer ce lien absent pour garder une idée globale de la situation, des gestes médicaux faits et des informations données. Et bien souvent, ils sont confrontés à l’impossibilité d’obtenir une information précise, et de faire le point quand il y a un souci sérieux. Or ces tâches, ces décisions et ces responsabilités bien lourdes, ne devraient pas être portées par les familles. Beaucoup de ces responsabilités, qui retombent par défaut sur elles, incombent en réalité à une décision collective de l’équipe. Car, contrairement aux familles, les soignants ont les connaissances médicales nécessaires pour trouver la meilleure solution dans des situations difficiles. Leur formation et leur expérience offre les appuis et le courage nécessaires pour assumer telle ou telle décision issue du travail entre eux et de leur discussion avec le patient et sa famille. Si ce travail est fait collectivement, ils pourront se regarder dans une glace, même si la situation est difficile, même si elle est douloureuse, car ils auront bien travaillé et bien accompagné leur patient et ses proches. Dans de telles décisions on voit à quel point il est important de retrouver la possibilité d’un lien entre les soignants et les gens. Cela ne veut pas uniquement dire parler aux gens, cela doit être sous condition que les questions de santé, de maladie et des différents moments de la vie redeviennent des questions pour tous, qu’elles sortent du cadre familial. Les familles à elles seules ne peuvent pas traiter ces questions, mais elles ne doivent pas non plus laisser le monde médical les traiter entièrement sans elles.
Enfin, cet affaiblissement du lien entre la médecine et les gens entraîne, de manière plus générale, un appauvrissement des idées sur les grandes expériences de vie que sont : la santé, la maladie, la maternité, la vieillesse, la mort… La médecine pâtit de ce manque dans de nombreux cas qu’il est impossible de penser selon le triptyque : diagnostic, traitement, guérison. Ce schéma fonctionne très bien dans le cadre des maladies infectieuses traitables pour lesquelles on est capable d’identifier précisément la cause de la maladie (virus, bactérie, parasite…), mais il ne peut être le seul organisateur de la médecine qui a bien souvent à faire avec des situations plus complexes. Il devient important de travailler à réorienter la médecine à partir d’idées sur ces grands événements de vie auxquels elle touche. Comme un médecin l’a dit, « La médecine devient folle quand elle se prend pour la seule grille de lecture de la maladie et de la santé » (Michel Bass).
De l’autre côté, de celui des gens, les connaissances médicales sont très peu connues de tous. Les découvertes et inventions ont été très nombreuses et très importantes, notamment au cours des deux derniers siècles, mais elles n’ont pas toutes les conséquences qu’elles pourraient avoir sur la vie de tous, puisqu’elles ne sont véritablement présentes que pour quelques personnes. On le voit bien aujourd’hui avec l’épidémie liée au virus SARS-2, la méconnaissance des virus, de leur mode de transmission et de survie, fait que les gestes qui protègent sont mal compris et donc mal faits. Mais ce qui est également très grave, c’est que cela laisse la place à des opinions fausses et dangereuses quant à la cause de cette épidémie. Certains accusent les Chinois qui seraient des mangeurs de chauve-souris ou encore des inventeurs de virus artificiel dans les laboratoires génétiques de Wuhan. D’autres, en Inde, pointent les musulmans du doigt et les tiennent pour responsables de la maladie. D’autres encore développent une théorie du complot impliquant le réseau G5 qui aurait laissé se propager l’épidémie pour ensuite laisser à Bill Gates la possibilité de nous contrôler tous en développant un vaccin.
Par ailleurs, plus les gens seront au fait des découvertes de la médecine, plus ils pourront orienter les futures recherches et études médicales. Car aujourd’hui ces recherches dépendent très largement des financements des États ou de grands groupes industriels, orientées par leurs intérêts et leurs courtes vues. Ainsi il existe encore trop peu de travaux faits pour permettre de mettre à disposition des pays pauvres des traitements efficaces et accessibles pour soigner les maladies qui touchent grand nombre de leurs habitants.
Enfin, pour chacun de nous, les connaissances médicales aident à comprendre comment éviter les maladies et comment se soigner si elles nous touchent. Ou encore, lorsqu’une femme attend un enfant, comprendre les nombreuses transformations qu’il se passe en elle, peut apaiser des peurs injustifiées.
Ce qui manque donc grandement aujourd’hui ce sont des lieux où puisse se rencontrer à nouveau ceux qui sont familiers à la médecine et ceux qui ne le sont pas. Des lieux où mettre la médecine auprès des gens et les gens auprès de la médecine. Des lieux où l’on ne vient pas uniquement en tant que patients pour se faire soigner, mais également pour apprendre, penser et partager ses expériences et ses idées sur des événements qui peuvent tous nous toucher. Des lieux où les soignants ne voient pas uniquement les gens comme des malades, mais les rencontre en apprenant à connaître leur vie, leur travail, leur logement, leur famille. Des lieux où les médecins apprennent à connaître la vie de gens de leur pays qu’ils ne connaissent pas. Des lieux où ils puissent participer avec eux à transformer les situations de logement et de travail qui causent des maladies. Car il est terrible pour beaucoup de soignants de constater leur impuissance face à ces causes, de voir qu’ils ne sont que des pansements posés sur des situations qui ne devraient pas exister.
Ces lieux, il en a existé dans l’histoire et il en existe encore aujourd’hui dans de nombreux de pays. Ils sont appelés des dispensaires. On parle beaucoup aujourd’hui de l’accès aux soins (inégalités d’accès aux soins, facilitation de l’accès aux soins, etc.). Mais la question est souvent posée de la mauvaise manière, on se demande : comment faire que les gens viennent dans les lieux de soins existants (hôpitaux, PASS, PMI, etc.) ? Alors qu’on devrait chercher à savoir bien plutôt : comment faire pour que les lieux de soins viennent aux gens ?
Les dispensaires sont des lieux de médecine de quartiers populaires. Ils sont ces lieux qui viennent aux gens. Toujours installés tout près des habitations, ils sont connus de tous, familiers et accueillant. La connaissance réciproque entre soignants et habitants et la confiance peuvent y exister plus facilement.
Cela pourrait être également des lieux pour tous. Tous les gens qui se trouvent dans le quartier. Quelle que soit leur situation administrative ou autre, leur âge, ou ce dont ils souffrent. Car un problème des lieux qui existent aujourd’hui c’est qu’on sépare tout le monde : toutes les femmes enceintes d’un côté, tous les vieux de l’autre, les enfants encore d’un autre… Cela fait comme si la vie était en morceaux, impossibles à faire se rejoindre.
Voici de quoi ces dispensaires pourraient être faits…
De leçons médicales. Il pourrait y être donnés des cours sur le fonctionnement du corps humain, sur les différentes maladies, les différents traitements qui existent, sur l’hygiène… Autant de choses qui aideraient tout le monde à se protéger de certaines maladies et aux personnes confrontées à une maladie ou, sans être malade, qui attend un enfant, de mieux comprendre ce qui leur arrive. Ces leçons pourraient permettre de répondre aux nombreuses questions qui se posent à chacun, d’écarter les fausses croyances, qui peuvent être dangereuses, mais aussi d’examiner attentivement les conseils, les gestes et remèdes qui viennent d’autres médecines que la médecine occidentale ou qui ont été transmis de génération en génération et qui ne sont jamais sérieusement étudiés ici, alors que certains d’entre eux pourraient apporter beaucoup.
D’assemblées. Il pourrait y être tenues des grandes discussions sur la maladie, la santé, la vie : de quoi a-t-on besoin lorsqu’on est malade pour traverser au mieux la maladie ou pour réussir à vivre avec ? Quels sont les rôles des soignants auprès des patients ? Qu’est-ce qui peut apporter le repos, le soutien, le soulagement dont on a besoin quand on traverse un moment difficile de la vie ou une grande transformation qui rend fragile ? Comment doivent être les lieux de soins pour être vivables lorsqu’on doit y rester ? La souffrance psychique doit aussi avoir sa place dans ces assemblées, car si chacun a sa propre histoire et ses propres blessures, elles sont souvent liées à l’époque, à la situation du pays, beaucoup de gens les partagent. Des idées sur ce qu’est ou doit être la famille manquent aussi beaucoup aujourd’hui. Elles manquent autant à ceux qui viennent d’arriver ici qu’à ceux qui sont ici depuis longtemps. Beaucoup de jeunes femmes et de jeunes hommes se retrouvent aujourd’hui seuls et perdus pour élever leur enfant, séparés de la famille qui se trouve au pays, ils manquent de soutien. Mais la même chose se passe aussi pour ceux dont la famille est ici, mais qui n’est plus présente comme elle a pu l’être avant. Par les choix de vie et/ou le rejet des traditions et du poids que peut représenter la famille, beaucoup de personnes se retrouvent seules face à de grandes questions comme : qu’est-ce qu’être une mère ? Qu’est-ce qu’être un père ? Comment élever un enfant ? Qu’est-ce qui est important pour lui ? À quel âge ? De tout cela, il est important de parler pour que chacun trouve ce qui est bon et juste. Si la famille et les traditions qu’elle porte peuvent écraser, on ne peut rester isolé, tout seul ou à deux, avec ces questions. Il faut que soit réinventé un collectif de type nouveau. Comme le dit un proverbe africain : « Il faut tout un village pour élever un enfant ». Il faut aussi tout un village pour éclaircir et savoir comment trouver une orientation dans de nombreuses situations rencontrées tout au long de la vie. Toutes ces questions sont importantes et doivent être discutées ensemble.
De consultations. Ces dispensaires pourraient être des lieux de consultations et de soins où une confiance et une connaissance entre les gens et les soignants seraient bien plus faciles que dans les grands hôpitaux comme il en existe tant aujourd’hui. Ces hôpitaux constituent l’accès aux soins d’une grande partie de la population, qui s’y trouve perdu, anonyme, face à des personnes chaque fois différentes, dont il est difficile de connaître le rôle dans ce vaste ensemble. Dans ces lieux où on ne connaît personne et où personne ne semble vraiment nous connaître, il est difficile que la confiance soit trouvée. Or sans la confiance, la médecine crée bien plus de peurs, d’inquiétudes et de soucis qu’elle ne guérit. Dans ces dispensaires, au contraire, la plus petite échelle permettrait de mieux se connaître. Des consultations pourraient être faites par des médecins, des psychologues, des sages-femmes, des kinésithérapeutes, par exemple. Tous ceux qui seraient intéressés par ce type de travail, et qui seraient d’accord sur sa nécessité. Des soins et médicaments pourraient y être délivrés gratuitement. Des liens pourraient exister avec des infirmiers libéraux et des aides à domicile. On peut rajouter peut-être qu’on finit souvent à l’hôpital une fois qu’on est déjà très gravement malade, alors qu’avoir un lieu intermédiaire pourrait contribuer à prévenir certaines situations de s’aggraver et souffrances à arriver au point d’insupportable.
De lieux de repos. Certains ne peuvent pas rester chez eux quand ils sont malades, enceintes ou jeunes mères par exemple, car ils n’y trouvent pas le repos nécessaire, dont ils ont besoin un temps. Un repos qui permette d’accueillir une nouvelle situation, à distance des multiples tâches quotidiennes, afin que puisse être trouvée une manière renouvelée de tenir ensemble toutes ces choses qui font notre vie. Les dispensaires assez grands pourraient abriter quelques chambres d’accueil pour cela.
De formations. Comme de nombreux lieux de soins, ces dispensaires pourraient devenir un jour des lieux de stages et de formations pour tous les futurs soignants.
Des laboratoires. Certains dispensaires pourraient servir de laboratoires de recherche sur les remèdes venus d’ici ou d’ailleurs, afin d’en vérifier l’efficacité et les conditions de celle-ci. Ils pourraient aussi être des lieux d’expérimentation où s’élaborent des études sur la clinique médicale.
Et bien d’autres idées encore sont à trouver…
Petite histoire des dispensaires
L’histoire des dispensaires est étroitement liée à celle des ouvriers. En Europe, le 19ème siècle constitue un moment important de cette histoire. C’est en effet au 19ème siècle que se sont développés de nombreux dispensaires, parfois construits par les ouvriers eux-mêmes. La Révolution française, le développement des usines et du travail ouvrier transforment la pensée de la santé des pauvres du pays, en même temps qu’apparaissent de nouvelles maladies. Les soins médicaux des travailleurs ne doivent plus relever uniquement de la charité religieuse, mais doit constituer un droit pour tous.
Les hôpitaux et hospices aux 17ème et 18ème siècles
Reprenons tout d’abord un peu avant le 19ème siècle. Au cours des siècles précédents (17ème et 18ème notamment), ceux qui avaient de l’argent faisaient venir les médecins chez eux. Pour les pauvres, les soins médicaux étaient délivrés par des religieux. En France, les seuls hôpitaux et hospices mis à disposition par l’État pour les pauvres étaient bien différents de ceux d’aujourd’hui. En effet, les hôpitaux d’alors n’étaient pas de véritables lieux de soins, mais davantage des lieux d’hébergement (pour mendiants, sans logement et malades), voire de véritables prisons pour les pauvres. En 1618, un règlement expose l’enjeu de la création de nouveaux hôpitaux dans les années à venir :
« Pour ce présent édit, voulons, statuons, ordonnons que tous les mendiants valides et invalides, oiseux et vagabonds de tous âges, sexes, conditions soient promptement retirés et enfermés, que les étrangers se retirent…, que ceux et celles qui sont entretenus à l’Aumône Générale se contiennent en leurs chambres, que tous les vieils, décrépits, impotents qui ne peuvent travailler pour gagner leur vie, les fous et les insensés, les filles et femmes débauchées qui se rendent incorrigibles et les enfants soient enclos, logés, nourris es hôpitaux pour ce ordonnés et maisons louées à cet effet en attendant la construction et accroissement desdits hôpitaux… »[1]
Les hôpitaux sont donc pensés pour enfermer et contrôler les mendiants, les étrangers, ceux qui ne trouvent pas de travail, ceux qui ne peuvent pas travailler à cause d’un handicap ou de la vieillesse, ceux qui souffrent de maladies psychiques, les prostituées, etc.
Au cours de ces siècles, des lieux de soins médicaux gratuits existent, mais sont laissés à la charité de certains religieux et la générosité de quelques philanthropes (personnes riches faisant des dons à des établissements pour les plus pauvres). Ce n’est qu’à partir de la Révolution française et tout au long des 19ème et 20ème siècles que s’impose une pensée de la santé comme un bien qui doit être pour tous et qui doit être le souci de tous.
Le 19ème siècle : la santé des ouvriers
Au 19ème siècle se développent de nombreuses usines, de grands ateliers et d’importants chantiers dans les villes. Beaucoup de personnes quittent les campagnes pour aller y travailler. Dans les quartiers populaires qui se créent, on observe une forte augmentation des maladies dans les familles ouvrières. Ces maladies sont liées à la dureté du travail (aux produits auxquels il expose, aux accidents qu’il entraîne), aux mauvaises conditions de logement, qui facilitent le développement d’épidémies, à la malnutrition, qui provoquent notamment la mort de beaucoup d’enfants.
Les grands mouvements politiques organisés par les ouvriers, au cours du 19ème siècle, donnent à ces travailleurs une place importante dans la pensée et l’organisation de la société. Ils sont porteurs de grandes idées, notamment d’égalité. Ainsi vers le milieu du 19ème siècle des organisations ouvrières sont fondées et certaines sont chargées de la création de dispensaires pour fournir les soins nécessaires aux ouvriers et à leur famille. Sortant du système de la charité, ce sont les ouvriers, sur leurs propres forces, qui créent ces nouveaux lieux. Les lieux de soins des religieux et des philanthropes persistent, mais sont en partie modifiés par cette nouvelle idée de la santé pour tous.
[Il n’est pas facile de trouver beaucoup d’éléments sur ces dispensaires créés par des organisations ouvrières. Il sera intéressant de poursuivre les recherches là-dessus.]
Les médecins-enquêteurs
Cette situation fait naître chez certains médecins l’idée que leur travail doit également les amener à faire des enquêtes auprès des ouvriers. Ils veulent comprendre l’origine des maladies qui touchent de nombreux ouvriers, afin de pouvoir les soigner, voire d’en supprimer les causes. Les techniques d’enquêtes varient selon les médecins. « Un petit nombre de thèses et de traités de médecine rédigés dans les années 1830-1840 portent ainsi sur les dégâts sanitaires des procédés, des gestes ou des substances employés à l’usine »[2]. Certains se contentent des dossiers recueillis par les hôpitaux. Mais d’autres partent à la rencontre des ouvriers, dans leur logement et dans leur travail. Ils cherchent à connaître leur vie, ce à quoi ils sont exposés tous les jours dans leur travail (les produits, les gestes, les machines dangereuses) et dans leur logement, souvent insalubres.
Au milieu de la décennie 1830, par exemple, le Dr Grisolle étudie le saturnisme professionnel. Cette affection est reconnue à l’époque comme étant la plus fréquente et la plus grave des pathologies du travail. Les deux symptômes les plus souvent rencontrés de cette maladie sont de très grands maux de ventres (crampes, douleurs abdominales, parfois nausées) et de problèmes cérébrales, notamment d’importantes confusions. Si elle touche les femmes, celles-ci pourront le transmettre à leurs futurs enfants au cours de la grossesse, le saturnisme sera responsable chez eux d’handicaps à vie (retards psychomoteurs). Le Dr Grisolle, avec d’autres médecins, se penche donc sur les origines possibles de cette maladie et parvient à mettre en évidence qu’elle est due à l’exposition au plomb. Le plomb était très utilisé à cette époque (et jusqu’en 1948) pour les peintures de bâtiment.
Voici comment le Dr Grisolle parle de sa méthode d’enquête qui lui a permis d’aboutir à cette conclusion :
« J’ai rassemblé moi-même tous ces faits sans idée préconçue, dans le but seulement d’apprendre la vérité : j’ai visité plusieurs fois les ateliers ; j’ai suivi avec intérêt les divers travaux de fabrication, afin de connaître les influences diverses auxquelles les ouvriers sont exposés. Auprès des malades, j’ai étudié avec tout le soin dont j’étais capable les antécédents, les symptômes, et l’influence exercée sur eux par les divers moyens thérapeutiques tour à tour employés. Rapprochant ensuite les divers faits, je les ai comparés entre eux, j’ai noté leur rapports comme leurs dissemblances et enfin j’ai tiré des conclusions. C’était là, je crois, la seule marche à suivre pour ne point s’égarer. » [Grisolle, 1835, p.7-8]
On voit dans cette explication le lien que ce médecin fait entre le rassemblement de données à grande échelle et la clinique. Sa grande attention à chaque patient lui permet de recueillir des nouveaux éléments. Chacun participe ainsi de sa compréhension de cette maladie qui touche beaucoup de gens.
Ces enquêtes sont véritablement médicales et entièrement liées, pour ces médecins, à leur travail. L’enjeu pour eux est de comprendre ces maladies. Ils ne veulent pas rester dans le simple constat de leur existence, mais souhaitent pouvoir agir dessus, en supprimer, si cela est possible, la cause. L’interdiction de l’usage du plomb pour la peinture en bâtiment a mis du temps, mais elle a finalement fait l’objet d’une loi en 1915 (pour les ouvriers peintres en bâtiment) et en 1948 pour l’ensemble des professionnels.
Ces enquêtes ne sont pas toujours faites à l’initiative des médecins. Certaines sont commandées par les États, surtout à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème. Si elles sont avant tout statistiques, elles permettent de réunir des données à grande échelle. Mais même à cette époque des médecins, comme le Dr Verhaeghe, poursuivent des enquêtes non officielles directement en lien avec les ouvriers qui se trouvent dans les quartiers où ils pratiquent. Ces enquêtes sont notamment permises par la grande proximité entre ces médecins et les habitants et la confiance qu’elle fait naître. Ainsi, le Dr Verhaeghe est familier des foyers ouvriers où il se rend pour dépister les cas de tuberculose, afin de prévenir la contagion de cette maladie dans les quartiers pauvres.
La curiosité intellectuelle des médecins-enquêteurs du 19ème siècle est importante à rappeler, car elle élargie grandement l’idée du travail de la médecine. Ces enquêtes sont un élément qui doit reprendre toute sa place dans la pratique de la médecine aujourd’hui. Car cette curiosité intellectuelle fait de chaque rencontre avec un patient une occasion à la fois de soigner, mais également d’approfondir ses connaissances sur les maladies. De plus, elles peuvent permettre un point de rencontre entre les médecins et les gens pour penser des conditions de travail et de logement qui ne soient pas causes de maladies évitables.
La dimension de la recherche continue à exister en médecine, mais elle est bien souvent le monopole des CHU (centre hospitalier et université), à distance des logements et des lieux de travail des gens. Des lieux implantés dans les quartiers populaires rendraient bien plus faciles un nouveau type de recherche, qui pourrait intéresser les médecins généralistes – souvent très isolés dans leur pratique – et les jeunes médecins à la fois attirés par la médecine de ville, mais qui aimeraient poursuivre le travail de recherche et les stimulations qu’il apporte – auxquels seuls les grands hôpitaux donnent accès aujourd’hui.
La multiplication des dispensaires (fin 19ème – début 20ème siècle)
Dans le dernier tiers du 19ème siècle, les résultats de recherches sur les microorganismes comme causes des maladies infectieuses sont publiés. Les travaux de Louis Pasteur, Robert Koch ou encore Joseph Lister participent à la diffusion des idées d’hygiène et d’asepsie pour lutter contre les grandes épidémies qui touchent les pays et notamment les quartiers ouvriers où se trouve une importante population.
Des politiques de santé publiques se développent. La multiplication des dispensaires s’inscrit dans ce cadre. Les dispensaires visent principalement à lutter contre trois grandes causes de mortalité de l’époque : la tuberculose, la mortalité infantile et la syphilis. L’idée est donc d’installer des dispensaires directement dans les quartiers ouvriers pour soigner et prévenir les causes qui entraînent ces morts. La proximité avec les lieux d’habitation et de travail rend plus facile l’obtention des soins, crée la confiance et permet aux malades de ne pas être séparés de leur famille ou des personnes avec qui ils vivent.
Certains de ces établissements sont également de véritables conceptions architecturales : l’espace et l’organisation des pièces y sont pensés pour être pratiques et agréables, de grandes ouvertures sont construites dans un souci de faire entrer lumière et air et certaines façades sont richement décorées. Pour les plus spacieux, « en plus des salles de consultation, de multiples équipements sont installés afin d’assainir les corps : bains-douches, piscines, salles de gymnastique, salles de repos »[3].
À cette époque, les dispensaires sont créés et tenus par des religieux, des ouvriers ou, assez souvent, par de riches bourgeois (parfois les médecins eux-mêmes). En 1901, le Dr Calmette invente ainsi un nouveau type de dispensaire : un dispensaire entièrement spécialisé dans la lutte contre la tuberculose. Mais outre cette spécialisation, il apporte à ce dispensaire d’autres innovations. En plus des soins proposés, il fait de ce dispensaire « un lieu d’éducation sanitaire pour le peuple » [4]. Tout comme les médecins-enquêteurs des années précédentes, son idée n’est plus uniquement de traiter les maladies, telles des fatalités, mais d’en saisir la cause et d’agir sur celle-ci. Le Dr Calmette décide ainsi de travailler en lien avec des « “ouvriers enquêteurs qui savent parler à leurs camarades le langage des prolétaires“, leur expliquent la contagion par la poussière, le lait, le danger de l’alcool, les bienfaits de la propreté »[5]. L’idée de Calmette est que, pour être comprise et, surtout écoutée de tous sans défiance, l’éducation sanitaire doit être portée par des hommes du peuple. C’est dans ce dispensaire que le Dr Verhaeghe pratique ses enquêtes sur la tuberculose auprès des ouvriers. Une vingtaine de dispensaires sont fondés en France entre 1901 et 1914 sur le modèle de celui de Lille. Tous retiennent les idées d’assistance et d’éducation, mais très peu celle d’ouvrier enquêteur.
En France, ce n’est qu’à partir de 1916 que l’État décide de prendre part au développement des dispensaires. Le pays est en effet passé du 5ème au 2ème rang mondial des pays les plus touchés par la tuberculose – augmentation notamment due à l’apparition de nombreux cas de tuberculose parmi les soldats des tranchées. Par la loi Léon Bourgeois (1916), il impose la création de dispensaires d’hygiène publique sur l’ensemble du territoire. 800 ont été créés à la suite de cette loi de 1916 à 1936, grâce à des financements publics (ministère, conseils généraux et communes) et privés.
Les infirmières-visiteuses
Dans cette lutte contre la tuberculose on décide de créer, à partir de 1916, une nouvelle fonction : celle d’« infirmières-visiteuses ». Souvent rattachées à un dispensaire, elles ont pour rôle de suivre les malades à leur domicile.
On connaît peu de choses sur leurs pratiques réelles, mais cette fonction devait très certainement être exercée de manières très différentes : selon les lieux et surtout selon la façon dont on se représentait ce rôle. Certains textes écrits pour former les infirmières-visiteuses insistent avant tout sur leur rôle d’investigatrices capable de découvrir les causes des maladies dans les « mauvaises habitudes et pratiques de vie des ouvriers ». Ces textes sont marqués par des idées hygiénistes, très répandues à l’époque, qui rendent les ouvriers responsables des maladies qui les touchent.
Mais certains témoignages d’infirmières-visiteuses laissent penser que toutes ne prenaient pas leur rôle de cette manière, désireuses de soigner et de luttes contre les injustices touchant le travail et les conditions de vie ouvrières. Cette fonction offrait la possibilité d’un lien important avec les familles, d’une connaissance précise de leur vie et permettait également aux patients, qui ne pouvaient plus se déplacer ou devaient être isolés, d’avoir des soins à domicile.
Les dispensaires et polycliniques dans la Chine populaire
Laissons à présent la France de côté, pour esquisser un autre développement de dispensaires, à bien plus large échelle cette fois : celui de la République populaire de Chine. Au tout début de son existence, dès 1949, l’organisation médicale du pays a constitué l’un de ses grands enjeux. Un très grand nombre de médecins et autres soignants ont été formés, l’assurance sociale (couvrant les maladies ou accidents) pour tous a été mise en place et une multiplication impressionnante des lieux de soins a eu lieu. Ainsi en 5 ans, le nombre de lits dans les hôpitaux a été doublé et les sanatorium (établissements de cure spécialisés dans le traitement de la tuberculose), les dispensaires, les polycliniques (dispensaires de soins avec plus d’équipements médicaux disponibles) et les centres de lutte contre les épidémies ont chacun étaient multipliés par près de 10 dans tout le pays[6]. Le but était que chacun, même dans les lieux les plus reculés, puisse avoir accès à des soins et que les connaissances de la médecine et de l’hygiène soient transmises à tous.
Cette expansion de la médecine dans tout le territoire a également permis que soient faites des enquêtes sur les conditions de vie dans les différentes régions et dans les différents domaines de travail.
[Là encore, il serait intéressant de lire davantage sur ces lieux de soins et leur mode de fonctionnement.]
La construction de dispensaires par les ouvriers maliens
Voici encore un autre exemple de développement de dispensaires lié à l’histoire ouvrière, celui qui s’est fait au Mali grâce aux ouvriers venus travailler en France. Grâce à leur travail et à leur organisation, ces ouvriers ont grandement participé à la construction, dans leurs villages et leurs régions, de nombreuses structures pour la santé, l’éducation et la vie collective. D’après Échos Magazine de Bamako, en 2000, « pour le seul cercle de Yélimané, par exemple, l’émigration a permis, en 20 ans, la réalisation de 11 dispensaires, 7 maternités, 70 salles de classes, 1 bibliothèque, 45 logements de maîtres, 12 pharmacies, 180 puits et forages, 5 châteaux d’eau, 6 petits barrages, 14 écoles coraniques, 19 coopératives, 1 bureau de poste, 45 mosquées »[7]. Ces chiffres ont dû encore augmenter dans ces 20 dernières années. [Il faudra se renseigner là-dessus]
Alors que les dispensaires disparaissent peu à peu en France, ils se développent dans d’autres pays, notamment au Mali, en Mauritanie et au Sénégal. Il serait intéressant d’enquêter, en France, auprès des ouvriers qui participent à ces constructions dans leur pays, pour apprendre comment ils ont été installés et comment ils fonctionnent aujourd’hui et connaître les idées qu’ils ont pu établir quant à ce qui permet le bon fonctionnement d’un dispensaire.
Le mouvement de regroupement des hôpitaux en France
En France, le mouvement à partir des années 1980 a été inverse. Au lieu de multiplier les lieux de soins en créant des petites structures sur tout le territoire, de nombreux établissements de santé ont été fermés au profit de regroupement en grands groupes hospitaliers. C’est sous le prétexte d’un manque d’activité ou d’un manque de médecins que des lits et des services sont peu à peu fermés, puis des établissements entiers.
C’est une pensée avant tout économique qui se trouve à l’origine de ces décisions. Elle se fait en termes de lits « qui pourraient être occupés », de soignants qui « ne devraient pas être payés à dormir », de patients qu’on « pourrait faire sortir plus tôt »… Le résultat est que tout fonctionne à flux tendu, sans souplesse. Un réanimateur déclarait récemment à la radio qu’il arrivait de plus en plus souvent que tout nouveau patient arrivant dans son service implique la sortie immédiate d’un autre (« du moins malade ») pour lui laisser la place.
Dans cette situation, les centres et maisons de santé – parfois présentés comme les nouveaux dispensaires – sont chargés de refaire exister une médecine de proximité. Ils sont mis en avant comme devant soutenir le « virage ambulatoire » que doit prendre aujourd’hui le système de santé. Or, dans les faits, ces lieux déplorent le manque de moyens dans lequel ils sont laissés. Car ce que nomme ce « virage ambulatoire » n’est que la volonté de présenter comme une bonne chose la diminution des durées d’hospitalisation au profit de soins de jour ou à domicile, alors que seules des raisons financières président à cette décision. Loin de sortir avec de véritables idées du tout hôpital, ce n’est que par souci d’économie que l’orientation ambulatoire est prise aujourd’hui. Par ailleurs, ces centres et maisons de soins qui se développent pour pallier au manque de soignants dans de nombreuses régions du territoire, restent insuffisants en nombre et se concentrent avant tout sur les consultations et la délivrance de soins. Ils ne sont pas des lieux d’enquêtes, de discussion, d’apprentissage pour chacun.
Face à la disparition de vrais lieux de soins de proximité, notamment dans les quartiers populaires, et face aux graves conséquences que cela représente, il est essentiel aujourd’hui de créer de nouveaux dispensaires. Des lieux qui, à l’encontre du mouvement actuel, répandent la médecine partout sur le territoire, créent des possibilités de soins dans les quartiers, reprennent les orientations innovantes de la médecines du 19ème siècle adossée aux dispensaires (médecins-enquêteurs, ouvriers-enquêteurs, infirmières-visiteuses, lieu d’apprentissage pour tous, etc.) et soient de véritables centres de partage et de construction d’idées, de recherches et d’enquêtes médicales.
Projets d’assemblées
« Il y avait un collectif de nouveau type à construire. Un collectif qui ne soit pas la famille traditionnelle, avec qui beaucoup de gens ne vivent plus. Un collectif qui ne soit pas non plus en fonction du pays d’où on vient. Il faut un nouveau type de collectif où il y aurait toute sorte de gens. C’est capital pour ne pas trop souffrir chacun de sa situation, sinon il y a une espèce d’isolement qui n’est pas possible. Il faudrait commencer à envisager quelque chose comme ça à partir des questions comme : la grossesse, les enfants, la vie, la santé, la maladie, la souffrance psychique. Comment faire que ces choses essentielles pour la vie, qui n’étaient liées qu’à la famille, puissent devenir une question pour tout le monde. Il y aurait quelque chose à inventer, même pour former les plus jeunes. »
Qu’est-ce qu’une vraie vie ? La santé ? La maladie ?
Le rôle du médecin et des soignants
La question de la souffrance et du bonheur
La maternité, la paternité, les soins aux enfants
La vieillesse et la place des vieux
Projets de leçons
Les leçons seraient construites en lien avec les assemblées et à partir des enquêtes qu’on aura fait dans le quartier et ailleurs. Elles s’organiseraient à la fois autour d’éléments essentiels de la médecine et utiles à tous, et également autour de questions ayant émergées dans les assemblées. Il y aurait donc un aller-retour entre les assemblées et les leçons.
Introduction : les maladies
Les différentes causes des maladies
Les symptômes
Le diagnostic : la clinique et la paraclinique
Les traitements : médicaux et chirurgicaux, mais aussi l’hygiène, les connaissances, les conditions de vie…
Les maladies infectieuses
Les grandes épidémies
La découverte des micro-organismes : Pasteur, Koch
Échelle des différents micro-organismes
Le développement de l’hygiène et de la lutte contre les maladies infectieuses
Les microorganismes
Qu’est-ce qu’une bactérie ?
L’exemple de la tuberculose
L’appareil respiratoire
Qu’est-ce qu’un virus ?
L’exemple du covid-19
Retour sur l’appareil respiratoire
L’exemple de l’hépatite B
Anatomie et rôle du foie
Qu’est-ce qu’un parasite ?
L’exemple de la gale
La réaction immunitaire et le principe du vaccin
Présentation de la réaction immunitaire
Le principe du vaccin
Le SIDA détourne ce système immunitaire
Syndromes liés aux souffrances psychiques
Expliquer les séquelles possibles d’un traumatisme : troubles de mémoire, de concentration, du sommeil, des réminiscences, la dépression, l’anxiété…
Séparer ces symptômes de l’idée de folie : ces symptômes ne veulent pas dire que quelqu’un est fou, mais qu’il a vécu quelque chose dont il ne sait pas quoi faire au point de ne même pas arriver à le dire.
La parole
La parole des enfants ou des très vieilles personnes qui ne parlent plus comme nous. Comment doit-on les écouter ? Comment faire pour qu’ils puissent dire leurs idées ? Comment s’habituer à leur façon de parler pour comprendre un peu et pouvoir échanger avec eux ? (en lien avec une assemblée sur la question)
Qu’est-ce que c’est que de raconter son histoire quand on arrive ici ?
Sur le fait qu’il n’y a pas à demander aux gens de « raconter leur histoire » comme le fait l’OFPRA. Cela n’a strictement aucun sens (Yantzimirsky).
Autres idées de leçons
Anatomie : les différents appareils (respiratoire, digestif, urinaire, le cerveau et les nerfs, les muscles, la circulation sanguine…)
Maladies chroniques : diabète, hypertension…
Gynécologie, grossesse, accouchement
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Projets de consultations et de liens
Médecins
Lien avec des médecins à créer pour les leçons, les assemblées et des consultations
Organiser des permanences de consultations
Voir avec la PASS de l’hôpital Avicenne
Voir avec Médecins du monde
Voir avec les médecins généralistes d’Aubervilliers, de Pantin, de la Courneuve
Psychologues
Lien avec des psychologues à créer pour les leçons, les assemblées et des consultations
Organiser des consultations individuelles et des discussions collectives ?
Voir avec les psychologues de l’hôpital Avicenne
Sages-femmes
Lien avec des sages-femmes à créer pour les leçons, les assemblées et des consultations
Organiser des consultations de suivi gynécologique, de suivi de grossesse et discussions collectives
Trouver des sages-femmes
Infirmières libérales
Lien avec des infirmières libérales à créer pour les leçons, les assemblées et des soins
Aides soignants ou aides à domicile
Lien avec des aides soignantes ou aides à domicile à créer pour les leçons, les assemblées
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[1] L'Hôpital Général de Paris. Institution d'assistance, de police, ou de soins ? Sainte Fare Garnot Nicolas. In Histoire, économie et société, 1984, 3ᵉ année, n°4. Santé, médecine et politiques de santé. pp. 535-542.
[2] Des médecins enquêtent sur le travail ouvrier : terrains et pratiques en Belgique et en France (1840-1914), Éric Geerkens et Judith Rainhorn in Éric Geerkens et al., Les enquêtes ouvrières dans l'Europe contemporaine
[3] Lutter contre la tuberculose et la mortalité infantile : l’établissement des dispensaires en France (1880-1950), Cécile Lestienne, In Situ Revue des patrimoines
[4]La « lutte antituberculeuse » instrument de la médicalisation des classes populaires (1870-1930), Knibiehler Yvonne, In Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 86, numéro 2, 1979. La médicalisation en France du XVIIIe au début du XXe siècle. pp. 321-336
[5] Idem
[6] De la médecine et de la sécurité sociale en Chine, Davidoff Georges, in Population, 12ᵉ année, n°4, 1957. pp. 679-694
[7] Migrations internationales et mobilisation des ressources, Les Maliens de l’extérieur et la problématique du développement, Seydou Keïta, Migrants des Suds