École des hautes capacités des pauvres et non comptés, ouverte à tous, pour la construction d’une machine affirmative et collective d’amitiés, de confiance et de courage, travaillant à hauteur du désir de chacun et des principes nouveaux de bonheur, de paix et d’humanité qui manquent gravement dans le monde aujourd’hui.
Préambule
L’école telle qu’elle est aujourd’hui détruit tellement de choses chez les enfants et les jeunes gens que lorsqu’ils en sortent, ils ne sont pas en capacité d’identifier ce qu’ils désirent et dont ils sont capables.
L’école contrarie jusqu’aux passions intellectuelles et, s’ils étaient à même de dire leur désir, on peut parier que beaucoup deviendraient archéologues, philosophes, ou mathématiciens : « L’école ne cherche pas pourquoi on est fait, pourquoi on est doué. La première question devrait être 'qu’est-ce qui te plaît, qu’est-ce que tu aimes ?' Au lieu de ça, on nous envoie là où on ne veut pas aller. »
En leur faisant intérioriser l’idée affreuse que le problème c’est eux, et non pas l’école : « A l’école je ne tenais pas en place. Mais en France l’école c’est vraiment pourri. Quand on vous a mis de côté, c’est trop de frein. J’ai perdu mon rire facile. Jusqu’à il y a pas longtemps, j’avais le concept de l’homme, enfin de l’humanité : j’y croyais. Plus maintenant. Maintenant je me soucie de mes proches de moi ; les autres, j’y crois plus ».
Au fond de beaucoup de jeunes que l’école a blessés, il y a des désirs immenses, qu’on ne soupçonne pas et que notre propre école devra faire lever. On ne pêchera jamais par surestimation, toujours par sous-estimation.
« Les profs ne se mettent jamais à notre place. Ils n’ont plus d’amour pour leurs élèves, ils n’ont plus ce qui devrait être leur passion : apprendre aux autres. Alors, il y a un choc terrible entre eux et les élèves. Et le réconfort, pour les élèves, ça n’existe pas ». « En plus on nous dit : va à l’école, tu gagneras de l’argent. Or c’est un mensonge. Au lieu de dire : va à l’école, tu feras ce que tu aimes ».
« Moi je crois que, l‘école, ils ont besoin que les élèves lâchent, c’est calculé. Mais être dénigré tout le temps par les profs, ça fait mal. Les élèves se sentent dans le brouillard épais, on est à côté de la plaque. La difficulté c’est de se réveiller. »
Avant que le désir soit clair, cela se donne d’abord comme un nœud, un endroit intenable, générateur d’angoisse et de « brouillard épais » : on n’aime pas ce qui se présente comme stable et obligé, routinier, mais on est encore loin de ce désir d’autre chose qu’on cherche à penser et imaginer. Chacun a besoin d’un lieu qui l’aide à découvrir ce dont il est capable. C’est le premier enjeu de notre école.
A échelle du monde, des millions de gens sont aujourd’hui errants et non comptés. Les meurtres de masse du 13 novembre, ceux de Bruxelles, le déni d’hospitalité à l’égard des réfugiés et des gens déplacés, l’absence de tout avenir pour la jeunesse des quartiers, la persécution des ouvriers du monde, tout atteste à quel point a disparu toute idée de ce que cela peut et doit être une vie sous le signe du bonheur pour tous. Et parce qu’il en est ainsi, c’est le spectre de la guerre qui règne : chaque État divise et dresse inlassablement chacun contre les plus pauvres, les plus exposés, les derniers venus. Cet état de choses crée pour des millions de gens des situations où leur vie compte pour rien, où survivre est à peine possible.
Notre maître mot à nous, ce sera la paix : la volonté de travailler à construire une paix qui aujourd’hui n’existe pas. Par paix nous ne voulons pas dire l’absence de conflit, l’absence ou l’interruption de la guerre. La paix dont nous parlons, que nous voulons à notre échelle, à notre mesure, travailler à produire, c’est l’affirmation d’une autre possibilité de connaissance et de vie collectives. La paix en ce sens-là ne peut être qu’une œuvre voulue et portée collectivement, qui se bâtit pied à pied, par la création effective de nouveaux rapports entre les gens, entre les populations.
A- COMPTER TOUS CEUX et CELLES QUI NE SONT PAS COMPTÉS
Pour participer à notre école, il n’y aura pas de critères d’âge ni d’origine ni de connaissances. Le seul critère sera l’accord avec les principes de l’école, et la volonté d’y être librement et régulièrement actif. L’école s’adaptera pour ça aux disponibilités et possibilités des participants. Nous voudrions pouvoir compter tous ceux qui ne sont pas comptés, et les appeler à se compter eux-mêmes.
Cette école est réellement pour tous. Celui ou celle qui n’a pas de papiers, celui ou celle qui est sans travail, celui ou celle qui a quitté l’école, celui ou celle qui est de passage, chacun est bienvenu. Notre désir est de travailler à réunir des jeunesses aujourd’hui séparées et qui s’ignorent tragiquement. A réunir aussi des gens d’âge différent, de pays différents. Nous veillerons à faire place aux femmes qui n’ont pas eu la possibilité d’aller à l’école, aux ouvriers qui n’ont pas appris à lire ni à écrire, aux jeunes filles chez qui il existe un désir d’étudier auquel il n’est pas répondu.
B- TRAVAILLER À PARTIR DU DÉSIR ET DE CE QUI MANQUE
L’école travaillera à partir du désir et de ce qui manque, à chacun et à tous. Elle devra aider chacun à être entièrement soi et en même temps entièrement avec les autres. Il s’agira de rendre possible l’élan, le projet singulier, et de reconfigurer une idée du bonheur pour tous. Il faut que chacun trouve le chemin d’un accomplissement à hauteur de son désir.
On apprendra d’abord à se rencontrer, à se parler, à penser. Beaucoup de gens n’ont rien aujourd’hui pour pouvoir exister. Rien de disponible. Quand on n’a rien, la seule chose qu’on peut avoir, conquérir, c’est justement la confiance dans sa propre capacité, et dans sa propre discipline. Le désir de vivre existe en chacun, nous ferons en sorte d’inventer les actes à travers lesquels il pourra s’affirmer et se construire.
Il y faudra du temps et de la patience. Car ce temps doit être le temps de chacun. Contre l’idée de « résultats tout de suite ». Quand on apprend en vue d’un résultat, à la fin on oublie tout, on ne construit rien. A l’école, on te dit : « on ne peut pas s’adapter à ton rythme ». Mais chacun ne peut pas travailler à la même cadence. Quand il s’agit de découvrir, d’apprendre, de déclarer son désir, cela peut être très délicat, très long. Il faut de l’endurance, de la discipline, être fidèle aux conséquences de ce qu’on a décidé de vouloir. Il s’agit de la constitution de soi en sujet. Or toute vie est aussi une expérience dans le temps. Des transformations de la vie, découvrir que ce dont on est capable est toujours lié au bonheur des autres, à la création d’une nouvelle beauté pour tous, ce seront alors de toutes autres figures du « résultat ».
C- GÉNÉRER ET RENDRE POSSIBLE DES ACTES
L’école devra être animée par la passion d’agir, elle devra générer et rendre possible des actes. Il s’agit d’affirmer que le désir est de ce monde et de lui donner le temps de la maturation. De faire en sorte que chacun puisse conquérir la confiance dans son propre désir, et l’endurance nécessaire pour faire vivre son idée de la vie. D’aider, à partir d’existences empêchées ou barrées, à délivrer des possibilités concrètes pour chacun. Contre la corruption par le renoncement, le scepticisme, l’impuissance. Ce que chacun portera sera son propre « chef d’œuvre » et nourrira aussi des actions et créations collectives.
D- MAÎTRES ET ÉLÈVES TOUR À TOUR
C’est par son propre mouvement qu’on va à la rencontre du monde. Pour pouvoir enquêter sur le monde, il faut d’abord pouvoir penser par soi-même. Il ne peut pas y avoir d’un côté ceux qui savent et qui enseignent et de l’autre ceux qui ne savent pas et qui apprennent. Chacun tour à tour fera école pour les autres : tour à tour maîtres et élèves, à l’école de la découverte du réel et des gens. Tout le monde travaillera à égalité, à partir de tâches communes, qui découleront du désir de chacun et du manque pour tous. Cela se substituera aux schémas d’autorité. L’égalité existera non pas au sens où chacun sera capable des mêmes choses, mais à partir de ce dont chacun est singulièrement capable et qu’il peut apporter aux autres.
E- LE THÉÂTRE FERA PARTIE DES ACTES DE L’ÉCOLE
C’est dans le théâtre de La Commune que cette école prend naissance et a son lieu. Parce que le théâtre a lui aussi le désir que la vie soit infinie, et souffre le même manque d’un bien pour tous. Le théâtre est le lieu où se vérifie que des déclarations, des inventions, des hypothèses nouvelles sont subjectivables. Le théâtre construit des subjectivités.
C’est pourquoi le théâtre fera lui aussi partie des actes de l’école. Il en sera une des pratiques quotidiennes pour tous ceux et celles qui le souhaiteront. Il ne s’agira pas, par ce travail, de délivrer une subjectivité déjà construite et de l’enseigner aux autres. Il s’agira de vérifier que ce que je dis, je peux le penser et que ce que je pense, je peux le parler. Il s’agit aussi de disjoindre la parole et la honte, la parole et la peur. De mettre en œuvre l’émotion d’amitié, de confiance, d’exigence. Car nous sommes dans un monde où la parole est sans arrêt soumise à critique, à ridicule, à honte. Il faut qu’on puisse commencer des phrases qu’on ne saura pas terminer, il faudra chercher d’autres manières de parler à tous, d’autres adresses, y compris sur le plan des corps, de la sensibilité.
Il s’agit aussi de savoir comment la pensée peut avoir une audience et pas seulement dans la forme de l’écrit et du livre. Nous demanderons à des artistes de venir travailler avec nous, non pas à partir de ce qu’ils savent et font déjà, mais à partir de ce qui, à eux aussi, peut manquer. Chaque mois, ce travail du théâtre sera au service de la présentation des travaux de l’école. Dans une assemblée publique où ce qui aura été fait et pensé dans l’école sera présenté, sur le théâtre, ou dans le parc, un soir.
F- UNE « MACHINE » COLLECTIVE
ET DES PRINCIPES PLUS FORTS, PLUS VASTES
Le projet n’est pas de constituer un lieu (qui pourrait se figer, s’absolutiser), mais plutôt une
« machine » collective, qui nous permette de forger des outils pour agir dans le monde et contribuer à sa transformation. La figure de la révolution a longtemps porté en elle l’idée de
la nécessaire destruction d’un monde pour qu’un monde nouveau puisse apparaître. Nous cherchons à abandonner cette figure de la destruction antagonique pour essayer de tenir les choses dans une courbure, une plus grande douceur. Pour cela, il faut s’établir dans un régime de principes à tenir, et non dans le régime de la vindicte revendicative. Il faut que chaque principe nouveau que nous poserons soit plus fort, plus vaste, que ce que les tenants, situation par situation, de l’ordre actuel du monde sont en mesure de penser et d’imposer.
G – CONSTRUIRE DE MULTIPLES POINTS D’ANCRAGE ET DE FORCE
Nous voudrions établir des ponts, nouer des relations d’amitié avec d’autres gens qui travaillent dans un esprit proche du nôtre. Il faut que l’existence de notre machine puisse servir aussi à d’autres. Et que chacun puisse circuler, construire la multiplicité de ses points d’ancrage et de force, et ne s’enferme pas dans une seule formule, nécessairement limitée. Notre machine doit aider à se construire, et ne pas asphyxier les énergies. La vie, c’est par étapes et chaque étape a ses besoins, s’examine. Il faut aussi apprendre à franchir la ligne d’ombre qui sépare toujours du pas de plus à oser.
Disant cela, nous ne voulons pas encourager une versatilité, mais poser fermement que les participants à l’école ne devront y rester qu’aussi longtemps qu’ils y trouveront une vitalité et un courage pour leur propre vie. Il faut pouvoir en partir sans culpabilité ni sentiment de reniement. Le monde est vaste, il y a tant d’enquêtes et de rencontres à y mener.
L’enjeu de l’école est de rendre à chacun la souveraineté qui lui est déniée dans le monde. Dans une école où se cherche et s’éprouve la capacité à construire une autre vie pour soi-même et pour tous, la seule norme possible est intérieure, - norme de soi et non pas jugement extérieur. Nous cherchons une refondation entière du sentiment de soi et des autres.