Printemps 2019. « J’avais tout le temps peur et j’avais peur de partir, à cause des menaces »
« Mon histoire et les raisons pour lesquelles je suis venue demander l’asile en France commencent lorsque j’étais jeune fille. J’avais 14 ans lorsque mon père est décédé. Après la mort de mon père, ma mère s’est remariée, comme c’est la coutume, avec un de mes oncles, le petit frère de mon père. J’habitais dans le Sud du pays, au bord de la mer.
J’avais 16 ans lorsque mon oncle a raconté qu’avant que mon papa ne décède, il avait donné ma main à un de mes cousins, fils de mon autre oncle, le grand-frère de mon père. Je ne voulais pas me marier avec lui. Mon oncle a fait pression sur ma mère pour qu’elle me force à accepter le mariage, et il a fini par faire du chantage à ma mère : si je refuse le mariage, alors il divorcera d’avec ma mère, alors qu’il l’avait prise sous sa protection après la mort de mon père. C’est la raison pour laquelle j’ai été obligée d’accepter de me marier cette année-là.
Quand on m’a donnée en mariage, le monsieur était polygame, ses deux femmes sont plus âgées que ma maman. Lui-même a 37 ans de plus que moi !
Sa maison n’était pas dans notre village et j’ai donc déménagé chez lui dans une ville qui se situe dans le Nord de notre pays. Je m’y suis rendue en car : on part à 8 heures du matin et on arrive vers minuit ou 1 heure là-bas. Comme je n’accepte pas le monsieur dans le lit la nuit, il me frappait et il appelait mon oncle, qui est venu me battre aussi, avec ce qu’on appelle un fouet fait de lanières de cuir tressées en nattes que l’on donne au mari lors du mariage pour qu’il puisse battre sa femme. Je lui ai résisté pendant 7 ans. Après, je suis tombée enceinte de ce monsieur.
J’ai accepté de faire un enfant parce que je pensais qu’on me laisserait partir si j’avais un enfant de lui. Effectivement je suis retournée accoucher chez ma mère. J’ai accouché d’une fille, à qui j’ai donné le prénom de ma mère. Juste après l’accouchement j’ai dit que je ne reviens plus chez le monsieur, que je refuse de retourner chez lui. Mon oncle m’a prise, il m’a mise de force dans un car et m’a transportée jusqu’à mon mari.
J’avais tout le temps peur et j’avais peur de partir à cause des menaces. Mais j’ai rencontré un jeune, qui habite la même ville que mon mari. Un jour j’ai pris mes bagages et le bébé pour aller vivre chez lui. Le vieux envoyait des gens pour me chercher, ils me ramenaient chez lui et moi, je repartais chez le jeune. Je me suis dit que, si je tombe enceinte du jeune, on me laissera. Je suis finalement tombée enceinte du jeune. J’ai accouchée de notre premier enfant, un garçon. J’ai eu trois enfants en tout avec le jeune.
Le vieux envoyait toujours des gens pour me chercher, ses cousins, qui venaient à tout moment. Ils ont fait des allers-retours tellement de fois que je ne peux pas compter, c’est trop beaucoup. Le jeune chez qui je vivais était tout le temps obligé de prendre la fuite et de se cacher quand ils venaient chez lui. Un jour, cela faisait dix ans que j’étais partie de chez le vieux, ils sont tombés sur moi, le frère du monsieur s’est approché avec une machette en me menaçant de mort, je me suis battue avec lui et j’ai reçu des coups de machettes sur plusieurs endroits du corps : sous l’avant-bras gauche et sur la hanche gauche, j’ai encore les cicatrices de ces coups. Je suis allée déposer une plainte à la gendarmerie et ce sont eux qui m’ont demandée d’aller chez le médecin pour faire faire un certificat médical.
Les gendarmes ne sont pas allés arrêter eux-mêmes celui qui m’avait frappée et blessée, ils m’ont donné une convocation à lui remettre. Je suis allé le voir et il s’est rendu de lui-même à la gendarmerie. Les gendarmes m’ont appelée, j’y suis allée aussi, j’ai raconté ce qui s’était passé et il a raconté la même chose que moi. Les gendarmes lui ont dit qu’il est plus âgé que moi, « pourquoi il ne m’a pas frappé avec la main plutôt qu’avec la machette ? » Ils l’ont mis en garde à vue, c’était à 8 heures le matin.
Alors, le plus petit frère de mon père est venu me voir et m’a mis la pression pour que je retire ma plainte. Il m’a dit que si je ne retirais pas ma plainte, je serais exclue de la famille : au pays, si on met quelqu’un de la famille en prison par ta faute, on est exclu de la famille. J’ai été retirer ma plainte, la famille a payé 150 000 francs CFA aux gendarmes et il a été libéré à 18 heures, le jour même. Les gendarmes m’ont donné le certificat médical que j’avais fait faire chez le médecin et m’ont dit que, s’il revient me battre, je n’ai qu’à m’enfuir, venir à la gendarmerie avec ce certificat, et qu’alors ils iraient eux-mêmes le chercher pour le mettre en prison.
Mais une fois qu’il a été libéré, c’est devenu plus grave. Ma famille s’est réunie et a décidé que je ne faisais plus partie de la famille. Ils venaient toujours me menacer, et même me frapper. Ils tombaient sur moi n’importe où pour me frapper. Le jeune fuyait chaque fois que mes cousins arrivaient chez lui car il risquait de se faire tuer. J’ai été obligée de le quitter.
Je suis allé chez ma mère avec nos quatre enfants, mais mon oncle a dit que je ne peux pas entrer dans la cour, car j’ai refusé le mariage et je ne fais donc plus partie de la famille. L’oncle est tombé sur moi pour me frapper en disant que je ne rentre pas dans la maison. J’ai pris mes enfants, je les ai déposés chez ma sœur, qui vit aussi dans ce village. Mes enfants sont toujours chez elle aujourd’hui, tous les quatre.
Je suis allée à la capitale faire un passeport pour aller au Maroc. Je suis partie au mois d’octobre. J’ai duré un peu là-bas, mais je ne travaillais pas, je voulais traverser la mer seulement. Je suis arrivée en France au mois de janvier suivant. C’était pour m’éloigner de ma famille, du vieux, car je me suis dit que partout où je vais en Afrique ils vont me retrouver. J’ai 40 ans maintenant. J’aimerais tant pouvoir vivre avec mes enfants et qu’ils viennent en France vivre avec moi. »