Hiver 19. Second manifeste

INTRODUCTION : COMMENT ET SUR QUOI L’ÉCOLE DES ACTES A TRAVAILLÉ EN 2018-2019 ?

1- Assemblées

Les Assemblées sont le travail fondamental de l’Ecole des Actes. Elles ont lieu chaque semaine au sein de l’Ecole, les mercredis et vendredis pour les Assemblées de tous et les jeudis pour les Assemblées des femmes, de 20 heures à 21 heures, après le cours de français. Y participent l’ensemble des participants inscrits et des volontaires travaillant dans l’Ecole à un titre ou à un autre. La méthode de travail inventée dans ces Assemblées y est certainement unique à ce jour. Toutes les discussions y sont au régime de l’égalité de parole de chacun. On part des idées et de la tête de chacun, de manière à ce que se construise au fil du travail, une véritable pensée collective, si bien que le travail avance sous la stricte condition de ce que chacun y apporte. La discussion n’y est ni de l’ordre du bavardage qui ne construit rien, ni de l’ordre du ‘débat d’opinion’ où chacun repart avec les idées qui étaient déjà les siennes au début, mais est un véritable travail collectif où il s’agit chaque fois d’être attentif aux idées nouvelles qui vont surgir et éclairer d’un jour nouveau les questions traitées.

Toutes les choses dites sont systématiquement traduites au fur et à mesure dans l’ensemble des langues des participants (soninké, peul, arabe, anglais, bengali…) de manière à ce que chacun puisse suivre le déroulement de la discussion et y participer, celui qui parle couramment français comme celui qui ne le comprend pas encore du tout.

La raison d’être de ce travail est d’abord de constituer une connaissance vraie et directe des situations de notre monde, non pas au travers de supposés savoirs ‘scientifiques’ ou journalistiques déjà existants, mais à partir de l’expérience des gens eux-mêmes.

Pour ceux qui ne connaissent pas du tout le français, l’Assemblée est aussi leur « Journal », et pour tout le monde un lieu où se disent des choses qui n’avaient parfois jamais été entendues, l’enjeu pour eux n’étant pas seulement d’apprendre la langue, mais de connaître tout ce qu’il y a dans le pays, de comprendre ce qui s’y passe. La raison d’être des Assemblées est ensuite que nous avons un besoin vital aujourd’hui d’hypothèses et d’idées nouvelles sur une situation qui est commune à tous les pays du monde : le déplacement de gens qui n’ont pas d’autre choix ou de désir que de se déplacer pour vivre. Nous en avons tous besoin pour que la vie collective soit organisée de façon plus juste et meilleure pour le plus grand nombre.

Dans une situation où nous n’acceptons pas de devoir choisir entre Macron et Le Pen, et où tout le monde est prisonnier de l’idée que l’immigration est un problème, notre conviction est qu’il faut travailler activement à créer un nouvel espace de pensée ayant pour enjeu non pas simplement d’aider ou de soutenir les jeunes gens de provenance étrangère sous le coup des urgences immédiates auxquelles ils doivent faire face, mais de constituer une capacité collective et largement partagée à chercher ensemble une idée juste, forte, capable de nommer à la fois ce qui manque et ce qui devrait et pourrait exister.

Quand ces idées commencent à prendre forme, l’Ecole propose de les discuter avec tous ceux que cela intéresse dans des Assemblées publiques accueillies par divers centres d’art parisien ou par la Salle des Quatre Chemins d’Aubervilliers.

Notre conviction est que si nous parvenons à poursuivre rigoureusement et à faire grandir ce travail (par exemple en y incluant à terme les jeunes nés en France dans les quartiers populaires…) alors nous parviendrons à construire une mesure nouvelle de la politique, séparée des normes étatiques et journalistiques, à l’aune de laquelle il deviendra possible d’envisager à nouveaux frais les principales grandes questions de la vie collective.

2- Traductions

Dans l’Ecole, il n’y a pas de petite langue.

À chaque début d’assemblée il est demandé en quelles langues il faut traduire. On énonce les langues parlées par ceux qui sont présents – soninké, bambara, peul, arabe, bengali, anglais… – et on trouve un traducteur pour chacune d’elles, même si certains disent qu’il n’y a pas besoin. Chaque prise de parole est ensuite suivie, tour à tour, des différentes traductions. Quel que soit le nombre de personnes à qui la traduction s’adresse, une vingtaine ou une seule, la traduction est faite à haute voix, pour que tout le monde l’entende.

Il est important que tout le monde comprenne de quoi il est question et saisisse au plus près les enjeux de ce qui est abordé dans les assemblées. Trop souvent, dans les administrations ou à l’hôpital, par exemple, on présume trop vite que les gens comprennent le français, sans prendre le temps de s’en assurer ou d’y remédier si tel n’est pas le cas. Ce n’est pas la même chose de se débrouiller dans une langue et de comprendre les choses sérieuses.

Les traductions permettent à tout le monde de comprendre, et à chacun, de participer à hauteur de sa pensée, sans être limité aux quelques mots, qui feraient passer pour bête quiconque s’y trouverait réduit. Ceux qui ne se sentent pas à l’aise en français peuvent ainsi faire une déclaration dans leur propre langue. Par ailleurs, elles mettent dans l’oreille de tous, les multiples langues parlées par les gens de ce pays, faisant naître, parmi nous, le désir d’apprendre certaines d’entre elles.

Si au début existait une inquiétude quant au temps pris par les traductions, il a très vite semblé évident qu’elles offraient les conditions nécessaires à la discussion collective et ouvraient un temps de travail nouveau, un rythme plus lent qui laisse le temps à chacun de penser entre chaque déclaration, de prendre des notes ou encore de préparer ce qu’on veut dire.

L’autre inquiétude, désormais écartée, était celle de la justesse des traductions. L’expérience a montré que les traductions, si elles n’étaient jamais mot à mot, étaient toujours celles des idées. De fait, elles sont sous conditions de l’accord du traducteur avec l’idée et sous la vigilance du collectif. Tant que les traducteurs n’ont pas compris l’idée, ils demandent qu’elle soit réexpliquée et si, la comprenant, ils ne sont pas d’accord avec, très souvent, ils refusent de traduire et un autre doit prendre le relais. De même, si une personne traduit mal l’idée qui vient d’être dite, une ou deux personnes se lèvent pour la corriger.

3- Manifestes

Puisqu’il s’agit aujourd’hui de notre 2ème manifeste, nous voulons préciser comment ces manifestes sont écrits et dans quel but.

Chacun rassemble, a posteriori, tout le travail de discussion engagé dans les différentes assemblées de l’Ecole. Quand la discussion nous semble avoir atteint un pas nouveau, avoir accompli une étape dans les questions examinées, nous organisons les éléments du travail effectué avec les participants de l’Ecole, afin de pouvoir les partager avec des gens qui ne connaissent pas l’Ecole ni son travail.

Les textes rassemblés dans un manifeste sont donc pour leur grande majorité des textes qui reproduisent « à la lettre » les paroles prononcées au cours des assemblées et des différents ateliers qui se sont tenus. Ou sinon la mise en forme de notes de réunions.

ENTRE SEPTEMBRE 2018 ET JUILLET 2019, la discussion sur travail et papiers s’est poursuivie sur la nécessité de faire grandir l’idée que les gens qui arrivent ici devraient avoir une autorisation de travailler. Cela donne la partie I de ce nouveau manifeste : « LE TRAVAIL COMME DROIT ABSOLU POUR QUICONQUE».

Sa partie II « L’URGENCE, POUR CONSTRUIRE SA VIE, DE LIEUX OU HABITER » résulte du travail engagé avec des habitants de différents squats, mais aussi avec des personnes vivant dans des logements insalubres, et avec beaucoup d’autres qui n’ont aucun lieu où dormir, n’étant ni hébergés par l’OFII, ni par des proches.

La partie III « OUVRIR UNE NOUVELLE ORIENTATION POUR LE TRAVAIL JURIDIQUE » a deux origines : le caractère de plus en plus restreint des droits des étrangers aussi bien en France qu’à échelle de l’Europe - ce qui rend de plus en plus difficile, voire impossible, la défense juridique assurée par les avocats ; la découverte que, dans les situations de travail, comme dans le rapport de certaines administrations aux gens, il existe une dévastation et un non respect des quelques éléments de droit encore existants. Il nous a semblé nécessaire d’opposer à ces situations une enquête sur les capacités existantes à y faire face (c’est ce qui s’est trouvé au cœur des discussions de l’assemblée des femmes) ; mais aussi un travail nouveau dans le champ du droit afin de pouvoir penser et introduire de nouvelles catégories basées sur la vie des gens et ses lois propres.

La partie IV « COMMENT TRAVAILLER À L’ALLIANCE ENTRE LES JEUNESSES ? » est partie du très fort désir dans la jeunesse qui arrive de nouer des amitiés avec la jeunesse née ici, et de la difficulté à réaliser ce désir. Comment franchir cette séparation ? Quelles en sont les causes ?  Que désigne ce nom « jeunesse » ? Pas tant une tranche d’âge que toutes celles et ceux qui sont encore en train de chercher comment construire une vie et qui, de ce fait même, ont à élaborer des idées nouvelles sur le monde où ils entrent. Si l’on fait l’hypothèse qu’il existe actuellement trois jeunesses dans ce pays – une jeunesse populaire née ici, une jeunesse qui y arrive, et une jeunesse étudiante (incluant les jeunes artistes), nous remarquons que la jeunesse la plus menacée et abandonnée est la jeunesse populaire née ici, qui a le sentiment d’être oubliée, et qui ne se raccorde facilement ni à la jeunesse qui arrive ni à la jeunesse étudiante au sens large.

Les déclarations de deux jeunes gens, de ceux que l’Etat appelle des « jeunes mineurs étrangers isolés », nous ont permis de comprendre non seulement le poids négatif du mot « migrant » et sa nécessaire critique ; mais surtout que la situation de la jeunesse qui arrive est en vérité très proche de la situation de l’ensemble de la jeunesse née ici : besoin d’étudier et de se former, besoin de travailler, ou pour ceux et celles (beaucoup plus rares)  qui ont eu une bonne formation, besoin de trouver un travail à la hauteur de cette formation, besoin de se loger - des besoins vitaux qui restent sans réponse.

On l’a dit, LE TRAVAIL CONSTANT DE TRADUCTION dans les différentes langues des participants - soninké, bambara, peulh, arabe, anglais, bengali, cela varie selon qui est là et qui est à même de traduire – joue un rôle majeur dans l’école.

Ces traductions sont absentes des manifestes d’une part parce qu’elles sont orales et que nul parmi nous ne serait à même d’en donner une version écrite lisible, mais aussi et surtout parce que le manifeste est adressé avant tout à des gens extérieurs à l’Ecole avec le but de répercuter dans l’espace public de ce pays le contenu de nos travaux.

PARTIE 1 : LE TRAVAIL COMME DROIT ABSOLU POUR QUICONQUE :

À propos de la prise de parole dans l'École des actes

Les différentes Assemblées de l’Ecole sont le lieu collectif qui rend possible des prises de parole individuelles qui n’en restent pas à la dénonciation et qui ne sont pas non plus dans le registre de la revendication, mais ce que nous appelons des déclarations.

Ces assemblées sont placées sous le signe de l’égalité en pensée de tous les participants, et de la recherche collective d’hypothèses et de principes nouveaux pour orienter la vie de tous. C’est ce cadre qui rend possible ces déclarations.

Une déclaration, c’est d’abord un moment où quelqu’un est capable, non pas seulement de décrire ce qui ne va pas sur un point donné de sa vie ou du monde, mais d’en tirer au moins une conséquence. C’est à dire d’affirmer, en regard de ce qui ne va pas, l’autre chose qui manque et dont il y a besoin que cela existe. Une déclaration n’est donc pas simplement un témoignage. Mais ce n’est pas non plus une parole qui annoncerait « une action qui va effectivement venir ».

Car le temps de la déclaration n’est pas le futur, mais le présent. C’est la formulation d’un principe qui est une exigence formulée au présent et pour le présent. Que ce présent engage aussi un futur, c’est souvent le cas, mais c’est encore une autre affaire. C’est la question du « devenir dans le temps » de la déclaration.

Ainsi dans notre premier manifeste, dans la « lettre aux patrons qui ne paient pas », nous invoquons la « loyauté » : l’ouvrier a travaillé loyalement pour le patron, en retour l’exigence est que le patron soit loyal en le payant. Cette loyauté invoquée ne relève d’aucun article de loi. Mais elle exprime une subjectivité et une pensée de ce que doivent être des rapports entre un patron et un ouvrier. C’est un changement de registre, qui rompt avec ce que, tous, nous voyons comme courant : le cynisme, l’exploitation. Cela agit d’abord sur celui qui n’a pas été payé et sur ceux qui, avec lui, ne l’admettent pas. Cela permet de poser une limite à ce qu’a fait le patron, mais cela met surtout en mouvement un principe nouveau et une subjectivité nouvelle.

La différence entre déclaration et « manifeste » est une différence d’ampleur : un manifeste est possible quand un ensemble de déclarations, souvent individuelles au départ, s’accordent sur ce qui manque et nomment ce dont on a un besoin vital. C’est à la recherche de cela que sont consacrées les déclarations suivantes sur la question du travail et des papiers.

I - SUR L’AUTORISATION DE TRAVAILLER – ANNÉE 2018-2019

Cette question de l’autorisation de travailler a surgi dès les premières assemblées de l’Ecole, avec L’AFFIRMATION QU’IL FAUT SÉPARER LE TRAVAIL ET LES PAPIERS : « ON PEUT VIVRE LONGTEMPS SANS PAPIERS, MAIS ON NE PEUT PAS VIVRE LONGTEMPS SANS TRAVAILLER ». La discussion sur ce point a repris avec de nouveaux arrivants dans l’Ecole en 2018-2019. Et a donné de nouveaux développements.

  • UNE PERSONNE QUI A ENVIE DE TRAVAILLER NE PEUT PAS TRAVAILLER, COMMENT C’EST POSSIBLE ?

« Je comprends deux coïncidences : les papiers, le travail. Si tu n’as pas de papier, tu ne peux pas avoir de travail. Si tu n’as pas de travail, tu ne peux pas avoir de papier. Ce que je reçois quand je demande l’asile, l’aide de 300/400 euros, ne me satisfait pas. Me laisser travailler, ce serait le mieux, alors que je suis en bonne santé, en forme. Une personne qui a envie de travailler ne peut pas travailler, comment c’est possible ? »

« On a besoin de travailler depuis qu’on est jeunes. Si ce n’est pas maintenant, plus on dure ici et plus on vieillit. Pas de travail, cela peut créer beaucoup de choses négatives : voler, on n’a pas le choix. Plusieurs jeunes dorment dans les rues, malades mentaux ici. Si le manque de travail s’ajoute, cela rend fou. »

« Si tu vis en France, si père et mère n’ont pas de papiers, que deviennent les enfants ? Tu peux voler, tu peux braquer quelqu’un, pour qu’ils aient à manger. Tu es seul. Plein de choses se passent ici. On t’envoie aux Restos du Cœur. Si tu n’as ni femme ni enfant, tu es le plus exclu de tous. Ils obligent tout le monde à dépendre de l’aide. Mais si tu as un peu de travail, est-ce que tu vas demander tout ça, est-ce que ces choses-là se passent ? SI TU NE TRAVAILLES PAS, SI TOUTE LA JOURNÉE TU NE FAIS RIEN, TU ES COMME UN ZOMBIE. À FORCE DE PENSER TU DEVIENS BIZARRE. »

« ON A BESOIN DE TRAVAILLER, ON EST ENCORE DES JEUNES : pas besoin de « sacrifice » pour nous, de « donne-moi un cadeau », on a les capacités pour travailler. On a besoin de travail, on n’a pas besoin de rester sans travailler. L’argent du chômage, ça ne suffit pas. Si tu ne travailles pas, comment tu vis, et ta famille ? ON PEUT FAIRE 10 ANS SANS PAPIERS, MAIS PAS 10 ANS SANS TRAVAILLER. »

  • L’AUTORISATION DE TRAVAILLER, ÇA NOUS PERMET DE PRENDRE SOIN DE NOUS-MÊME,CE QUE L’AIDE NE NOUS PERMET PAS.

« L’autorisation de travailler, ça nous permet de prendre soin de nous-même, de chercher une petite chambre à louer pour vivre dedans pour ne pas dépendre de quelqu’un, de payer la nourriture, nos dépenses, la carte Navigo, plusieurs choses. L’aide qu’ils nous donnent à chaque fin de mois, quand ils nous refusent l’asile, ils vont nous arracher ça. Quelqu’un qui ne travaille pas, il ne peut rien faire, comment il va manger ? On a besoin de travailler pour s’occuper de nous-même. »

« ON A BESOIN DE TRAVAILLER POUR FONDER UNE FAMILLE, NE PAS TOMBER MORALEMENT BAS. Sans le travail, sans argent, tu n’es rien, tu ne peux pas avoir une compagne qui te soutient. Tu es zéro. »

« On veut le travail. Ceux qui ont fait 6 mois ou pas 6 mois, homme ou femme, on veut le travail. On n’est pas là pour demander l’aide. Même si on nous aide, c’est pas de ça dont on a besoin. Avec 150 euros, tu ne vas pas construire l’avenir de quelqu’un, construire notre vie et celle de nos enfants. Si tu travailles, tu peux faire ce que tu veux : chacun veut vivre dans sa sueur. On va te donner 300 euros, et tu vas te taire ? Avec ça, ta vie est morte. On a marre de ça, on ne veut pas que celui qui a demandé l’asile ne travaille pas. »

« Pour moi, l’autorisation de travailler c’est bien. Plus que le chômage de l’aide. Celui qui travaille, on le paie. C’est mieux que les 300 euros par mois de ton chômage (ce que j’appelle chômage, c’est que pendant la demande d’asile tu n’as pas droit de travailler et on te donne une aide). Ce paiement du chômage ne peut pas chauffer ton affaire : l’argent du chômage finit avant la fin du mois ! On ne peut pas vivre sans manger et sans boire. On a besoin de travailler. On n’est plus en Afrique. Ici pour avoir un logement il faut travailler. On vit dans le squat, c’est un peu difficile. SANS TRAVAIL, TU AS L’IMPRESSION QUE TU ES SANS AVENIR. »

  • JE PENSE QU’IL FAUT DONNER DU TRAVAIL À TOUT LE MONDE À PARTIR DE LA CAPACITÉ DE CHACUN

« Quelque chose me dépasse actuellement : j’avais le récépissé de demandeur d’asile depuis plus de 9 mois. Il faut que le patron donne des papiers pour déposer ton dossier à la préfecture. On leur demande plein de trucs, et de payer une taxe. Je suis partie avec lui à Pôle Emploi et à la préfecture. Ils ont refusé de me donner l’autorisation de travailler.

Maintenant j’ai le papier de réfugiée. Je vais à Pôle Emploi. On me demande qu’est-ce que je peux faire. Je dis : nettoyage. – Tu as une formation pour ça ? – Non. – Alors il faut d’abord aller t’inscrire pour apprendre à lire et à écrire. On me dit de chercher d’abord une école pour m’inscrire.  Il y a deux mois d’attente.

Après, cette inscription est annulée : je dois suivre les cours de l’OFII d’abord.

Je suis inscrite par l’assistante sociale dans le projet de ville d’Aubervilliers, j’ai signé les papiers. Je vais à Pôle Emploi. On me dit : « tu as un CV ? Alors tu cherches du travail. On te finance le RSA à condition que tu cherches un boulot. Pour chercher le travail, c’est le projet de ville d’Aubervilliers qui s’en occupe ». Eux me disent : « C’est Pôle Emploi qui fait ça ». On me donne le CV de quelqu’un d’autre et on me dit de changer le CV pour moi. A Pôle Emploi, ils me disent : « Si tu arrives à remplir ça, on te cherche un travail ». Finalement on me signe un contrat pour le RSA et pour que je cherche un boulot. Je m’encourage encore pour demander aide et travail. Mais si tu as les papiers et si tu ne sais pas lire et écrire, Pôle Emploi ne fait rien pour toi. »

« Pôle Emploi ne fait rien pour personne. En plus, des gens qui travaillent sans savoir lire ni écrire il y en a des dizaines de milliers en France, dans tous les métiers manuels. »

« Je pense qu’il faut donner du travail à tout le monde à partir de la capacité de chacun. LES GENS ONT ENVIE DE TRAVAILLER, PAS DE VIVRE DE L’AIDE. SINON TU TE SENS UN MOINS QUE RIEN. Si tu travailles, tu peux parler haut et fort. J’aime montrer le travail, même petit, que je fais avec fierté. L’autorisation de travailler, cela va faire beaucoup de bien autour des gens, cela peut changer beaucoup de choses. »

A la suite de ces discussions, et en vue d’une assemblée publique à Beaubourg le 5 avril, nous prenons la décision d’écrire des pancartes (une cinquantaine en tout) pour montrer le ou les métiers que chacun a appris et le métier qu’il ou elle veut faire ici. Cela donne une idée des ressources qu’apportent avec eux ceux et celles qui arrivent en France :

Cultivateur en Mauritanie, Commerçant en Mauritanie, Maçon ou restaurant ici.

Maçon, Peinture, Carrelage au Mali, Maçon en Algérie, Maçon ici.

Peintre au Gabon, Commerçant au Gabon, Formation Maçon, Plomberie, Peinture, ici.

Carreleur en Algérie, Jardinier Fruits et Légumes en Algérie, Formation Plombier ou Travaux Publics ici.

Cultivateur en Mauritanie, Formation de Plombier à Nouakchott, Pêcheur au Sénégal, Formation de Plombier ou tout travail ici.

Couturier au Mali, Nettoyage en Mauritanie, Formation de Cuisine ici.

Commerce au Mali, Commerce en Angola, Laveur de vitres au Maroc, Formation de Nettoyage ici.

Commerce au Mali, Plonge ou Bâtiment ici.

Cultivateur au Mali, Ecole en Italie, Ménage, Restaurant, tout ça, ici.

Teinturier en Mauritanie, Restaurant ou Travaux Publics ici.

Cultivateur en Mauritanie, Usine de glace en Mauritanie, Electricien ici.

Forgeron au Mali, Formation de travail ici.

Pâtisserie au Sénégal, Femme de ménage au Sénégal, Formation pour garder les enfants ici.

Sécurité en Mauritanie, Sécurité, Nettoyage, ou Jardins, ici.

Pêcheur en Mauritanie, Plombier en Mauritanie, Plombier ici.

Commerce au Mali, Sécurité au Gabon, Plombier ici.

Commerçant au Mali, Restauration ici.

Soudure métallique en Mauritanie, Continuer mon métier de soudeur ici.

Cultivateur au Mali, Plomberie en Mauritanie, Bâtiment en Algérie, Plombier ici.

Electricien au Mali, Electricien au Gabon, Electricien ou tout travail ici.

Menuisier au Mali, Tout travail ici.

Transports et Boulangerie en Côte d’Ivoire, Transports ou Sécurité ici.

Conduite en Côte d’Ivoire, Electricité ici.

Cultivateur en Mauritanie, Carreleur en Mauritanie, Carreleur ici.

En Côte d’Ivoire, Cuisine, Coiffure, Récolte de plantes et d’écorces pour la médecine, Nettoyage urbain ou ménage ici.

Bâtiment au Sénégal, Menuisier, Terrassement, Ferraille, Bâtiment ici.

Mécanique en Côte d’Ivoire, Chauffeur de taxi en Côte d’Ivoire, Tout travail ici.

Menuisier au Sénégal, Menuisier au Mali, Menuisier ici.

Football au Mali, Déménagements au Mali, Etanchéité ici.

Mécanique en Mauritanie, Mécanique ici.

Elève en Mauritanie, Electricien ici.

Cultivateur au Mali, Restaurant au Mali, Restaurant ici.

Coiffeur au Mali, Coiffeur ici.

Soudure en Côte d’Ivoire, Soudure ici.

Football et Cuisine au Mali, Cuisine en Mauritanie, Cuisine ici.

Commerce en Guinée, Garde d’enfants ou de personnes âgées ici.

Professeur au Bangladesh, Travail de la céramique en Lybie, Professeur ou tout travail ici.

Etudes et cultivateur au Mali, Restauration et pêcheur en Mauritanie, Plongeur ou tout travail ici.

Cultivateur au Mali, Plonge ou Travaux publics ici.

Cuisine au Mali, Commerce au Mali, Commis de cuisine ou Nettoyage ici.

Soudeur au Bangladesh, Restaurant, Bar, Service, ici.

Etudiant en commerce en Egypte, Peintre ou Chauffeur ici.

Nettoyage en Mauritanie, Electricien ici.

Elevage au Mali, Formation en Plomberie ici.

Couturier en Egypte, Peintre et Maçon ici.

Coiffeur en Irak, Coiffeur ici.

Etudiant en électronique en Egypte, Peinture et Bâtiment ici.

Sportif de judo et de foot au Mali, Même chose ici.

Carreleur en Mauritanie, Formation et études ici.

Couture, Tapis, Broderies au Maroc, Ménage, Nettoyage des avions, Nettoyage Hôpital, Garde d’enfants ou de personnes âgées ici.

Il en a résulté de nouvelles déclarations :

 « LE PLUS IMPORTANT POUR LES JEUNES, C’EST LE TRAVAIL, LE MÉTIER. PAS N’IMPORTE QUEL TRAVAIL. Ceux qui ont des métiers, on veut AUTORISATION DE TRAVAILLER AVEC NOS MÉTIERS. Par exemple, moi j’ai appris l’électricité en Afrique. Ici j’ai vu des choses nouvelles. Mais si je ne connaissais pas déjà l’électricité, ce serait difficile pour moi de comprendre. Il faut qu’on puisse se former dans notre métier. On va retourner avec ça au pays. Si tu te formes ici, tu peux l’apporter au pays. »

« Je veux insister sur le même point. J’ai fait carreleur en Mauritanie, j’ai le diplôme, mais c’est un diplôme pas très fort. JE VEUX CONTINUER MON MÉTIER ICI, AVEC AUTORISATION DE TRAVAILLER DANS MON MÉTIER, D’AVOIR UNE FORMATION DANS LE MÉME MÉTIER. »

Et une grande question :

 « L’autorisation de travailler, est-ce que c’est quelque chose que les gens disent parce que c’est bien pour eux, parce que c’est leur intérêt, ou est-ce que c’est important pour nous tous ? »

« LE TRAVAIL, CE N’EST PAS POUR NOUS SEULEMENT. ON VIT ICI, ON VEUT LE DÉVELOPPEMENT DE CE PAYS ICI. On cherche le travail parce que ce qu’on nous paie, ça peut développer le pays. DES JEUNES SANS TRAVAIL, ÇA NE PEUT PAS MARCHER. NOTRE TRAVAIL SERA UN AVANTAGE POUR CE PAYS. DANS UN PAYS OU TU VIS, TU SOUHAITES LE DÉVELOPPEMENT DE CE PAYS. »

« Si tout le monde a l’autorisation de travailler, tout travail devra être déclaré. Sinon, et c’est ce qui se passe actuellement, c’est le règne du travail au noir, et les normes du travail au noir sont appliquées peu à peu à tout travail ».

C’est ce qu’il est possible de comprendre à partir des déclarations qui ont été faites dans les assemblées des femmes où il a été question des très nombreux et fréquents problèmes rencontrés au travail – que celles-ci aient des papiers ou non.

II - LES FEMMES ET LE TRAVAIL

Les jeudis soirs se tient régulièrement une assemblée des femmes. Nous avons éprouvé le besoin de créer ce lieu nouveau afin que les femmes, qui sont en minorité dans l’Ecole, puissent prendre la parole sur les problèmes qui sont les leurs, certains communs à elles et aux hommes, d’autres plus particuliers. Leurs déclarations ont permis à la fois d’intervenir sur la question de la capacité à faire face aujourd’hui dans des situations de travail dévastées, et de répercuter dans les assemblées de tous des questions nouvelles qu’elles apportent et portent avec le plus grand courage.

  • SUR LE TRAVAIL PROPREMENT DIT :

Toutes font état de conditions de travail très dures, d’une surcharge constante, qui les fatigue beaucoup.

LA PREMIÈRE À EN PARLER EST Z. Elle vient du Maroc et elle travaille, depuis son arrivée ici, comme masseuse et gommeuse, dans des hammams. Dans son premier travail, elle travaille de 9 heures du matin à 23h 30 le soir. Les samedis et dimanches ne lui sont pas payés, ni les jours fériés. Elle touche 1170 euros par mois. A ce moment, étant sans papier, elle n’a pas de logement, le patron du hammam la laisse dormir sur place. En « échange » de quoi elle fait tout : non seulement le travail de massage, qui est très dur, mais aussi le ménage, la lessive, tout. Elle obtient un titre de séjour par le patron du hammam. Mais ce premier titre de séjour stipule que son travail, c’est « masseuse gommeuse ». Z. se trouve donc entièrement liée au patron du hammam pour le renouvellement de son titre de séjour.

Elle continue à accepter ces journées de travail jusqu’à ce qu’un jour, à l’école, elle éclate en sanglots au cours d’une séance de travail sur le français et raconte sa situation.

Entre temps, son titre de séjour a été renouvelé et porte la mention « salariée » sans plus de spécification du métier. L’assemblée des femmes explique donc à Z. qu’elle peut quitter ce patron et chercher du travail ailleurs. A ce moment, elle tombe malade, elle est en arrêt maladie d’un mois, renouvelé un mois. Son patron la licencie alors sans motif. Elle écrit avec un avocat aux Prudhommes et cherche une autre place où travailler.

Z.  aime ce métier. Elle l’a appris au Maroc, puis ici. Elle pense que c’est un beau métier, utile aux femmes.

Elle est embauchée dans un nouveau hammam, d’abord pendant 4 mois sans être déclarée. Elle est alors payée 1000 euros par mois. Ensuite, depuis 6 mois maintenant, elle est embauchée avec un contrat, pour un salaire de 1348 euros par mois.

Avant son embauche déclarée, il y avait 4 autres femmes, françaises, qui travaillaient, comme elle, comme masseuses gommeuses. Quand Z. est embauchée, ces 4 femmes, qui avaient des contrats de 3 ou 4 mois, voient leurs contrats non renouvelés. Z. se retrouve seule, avec la femme du patron à l’accueil, une esthéticienne, et un homme chargé de la sécurité.

Le travail de Z. devient alors de nouveau infernal. Horaires : de 9h le matin à 20h le soir, sans pause, même pour manger. Elle travaille, y compris le samedi et le dimanche (avec le lundi et le jeudi ce sont des jours où il y a beaucoup de monde). Un seul jour de repos : le vendredi, où Z. doit de toutes façons suivre les cours de français de l’OFII.

Souvent, elle fait 40 massages par jour, alors que chaque employée en faisait 10 maximum quand les autres femmes françaises travaillaient aussi là. Le travail de massage lui donne très mal au cou, elle prend des antalgiques puissants pour supporter la douleur. Le gommage se fait dans la chaleur, au sous sol du hammam, ce qui est aussi une source de fatigue.

A nouveau, elle fait aussi le ménage, la lessive, tout. Le patron ne lui paie pas le pass Navigo. Le vendredi, il paie une personne (qui est au RSA et au chômage) 60 euros pour la journée pour la remplacer.

LA RÉPÉTITION DE CETTE SITUATION OUVRE UNE DISCUSSION TRÉS SÉRIEUSE PARMI LES FEMMES PRÉSENTES. Elles disent à Z. que c’est de sa faute, parce qu’elle a accepté de faire 40 massages par jour alors qu’elle en faisait 10 au début. Elle aurait dû, lui disent-elles, continuer à faire 10 massages et pas plus. C’est sur cette base qu’elle a commencé à travailler, elle devait faire respecter ça par le patron ; s’il veut plus, il n’a qu’à embaucher d’autres femmes. Elles lui disent aussi avec force qu’elle est en train de ruiner sa santé. Si elle continue comme ça, à 50 ans elle ne pourra même plus travailler. Il ne faut pas accepter de travailler dans ce stress.

Z. écoute attentivement. Puis elle finit par dire que son problème c’est qu’elle NE SAIT PAS DIRE NON. Dès qu’on lui demande une chose, elle dit oui et elle le fait. Cela remonte loin dans son histoire.

  • SUR LES PROBLÈMES AVEC LES CHEFS HOMMES QUI ESSAIENT D’ABUSER DE LEUR PLACE AU TRAVAIL :

Bah. raconte : « Quand je cherchais le travail, un patron me dit ‘on sort ensemble et je te donne du travail’. JE LUI AI RÉPONDU : « SI TU ME TOUCHES, TU VAS AVOIR UN GRAND PROBLÉME ». Ils croient que tu es une femme facile. Ils font des complots sur nous ».

« Quand je travaille à TF1, le matin je suis seule au travail. Le chef vient me trouver : si je ne sors pas avec lui, il va m’arracher le travail, j’aurai un contrat de 2 heures au lieu de 3 heures. A ce moment je n’ai pas d’argent, mais je ne suis pas sale, je refuse. Lui, il a été chassé. »

Oua. : « ILS VEULENT PRENDRE TOUT : TU FAIS LE TRAVAIL ET ENCORE ILS VEULENT COUCHER AVEC TOI !  Pendant le Ramadan j’ai travaillé dans un magasin de gâteaux. Je travaille de 11h à 22h. J’ai travaillé 5 jours. Il dit qu’il me paie 40 euros, alors qu’on ne peut pas bouger ni respirer, c’est de l’esclavage ! A la fin des 5 jours, il me dit : tu viens demain. Là il me dit : c’est 30 euros, pas 40. J’ai eu mes 40 euros par la force. Une copine à moi s’est laissée draguer par lui. Elle a travaillé 15 jours. C’est du travail, ça ??!. Dans sa tête, tu ne peux pas réclamer parce que tu es sans papier.

Aussi, quand tu cherches le travail, ils prennent ton numéro de téléphone. Ils l’utilisent pour d’autres buts. Après, ils te disent : « Tu viens, on va fumer la chicha… »

« DES FEMMES AIMENT TRAVAILLER ET ELLES ONT PEUR D’ALLER TRAVAILLER À CAUSE DE ÇA. SOUVENT TU TRAVAILLES, MAIS TU DOIS SURVEILLER EN MÉME TEMPS QU’ILS NE VIENNENT PAS T’EMBÉTER. En plus, ce sont des gens mariés, avec des enfants…»

Dj. : « Aujourd’hui c’est très très difficile de trouver un travail à plein temps. Si tu vois qu’une femme a trouvé, c’est presque sûr qu’elle sort avec le chef ou le patron ». « Il y a des maris qui ne veulent pas accepter que leur femme travaille. Les hommes sont jaloux ». « Mais LES FEMMES QUI RESTENT A LA MAISON SOUFFRENT : il y a des familles où la femme fait tout, l’homme ne fait rien. En plus, quand tu commences à avoir des problèmes avec ton mari, tu sais qu’il a quelqu’un ailleurs.  Si la femme dépend de son mari, cela va être très dur pour elle et pour ses enfants »

Bah. : « AUCUN HOMME NE PEUT ME DIRE : BAH. TU RESTES A LA MAISON. JE ME BATS POUR TRAVAILLER. MÉME POUR MES ENFANTS. Les hommes ne peuvent pas tout faire. Même en Afrique, quand les hommes voient que la femme a un peu d’argent, ils laissent tout, ils ne font plus rien, ils ne paient pas la nourriture, ni le loyer, rien ! ».

  • À QUELLES CONDITIONS ON PEUT DIRE NON, QUAND ON TRAVAILLE :

TELLE EST LA DISCUSSION QUI S’OUVRE ALORS DANS L’ASSEMBLÉE.

Très grande et importante discussion dans une période où dans toutes les situations de travail les patrons se sentent libres de faire leur loi – en particulier sur les salaires, mais aussi sur l’organisation du temps de travail - sans respecter aucun des rares droits qui existent encore.

AINSI BIN. RACONTE : elle travaille comme femme de ménage depuis 6 ans. Elle part de chez elle le matin à 5h 30, et travaille de 8h à 15h. Dans un grand centre de tri de la Poste, où elle fait le balayage et doit nettoyer tous les jours 27 toilettes très sales (100 personnes travaillent là-bas). Elle a ensuite 2 heures seulement pour s’occuper des poubelles.

Bin. souffre de tension. Travailler la tête en bas pour nettoyer les toilettes lui donne des vertiges. Le médecin lui a donné un certificat médical pour qu’on puisse la changer de travail. Sans résultat à ce jour.

JA. RACONTE À SON TOUR qu’elle a travaillé dans un Cinéma Vinci pendant 4 mois : elle devait nettoyer chaque jour 60 toilettes et 23 lavabos, en 3 heures de temps, avec pour repos seulement le samedi !

KH. A TRAVAILLÉ dans une très grande salle de montage, au métro Sablons. Elle devait nettoyer chaque jour 14 toilettes, les lavabos, et deux douches entre 6h 30 et 8h 10.

HISTOIRE DE B. : comme beaucoup de gens dans le nettoyage, B. est employée par une société de nettoyage qui à son tour travaille pour des « clients ». Ces clients, ce sont les « chantiers » sur lesquels sont envoyés les employés de la société. A un moment donné, cette société a perdu un gros chantier de nettoyage, celui des « Autolib », quand l’entreprise a fermé, un chantier sur lequel B. travaillait. Le chef de B. a commencé par faire pression sur elle, en lui disant qu’il n’y avait plus de travail pour elle et qu’elle devait prendre ses congés payés, en attendant d’être affectée sur un autre chantier. B. a refusé, d’abord oralement, puis nous avons fait ensemble une lettre posant la question au chef de ce qui l’autorisait, dans la convention collective du nettoyage, à demander à B. de prendre ses congés payés dans cette situation. Lettre et appel téléphonique sont restés sans réponse du chef.

À LA FIN DU MOIS, B. REÇOIT SA FICHE DE PAIE, AMPUTÉE DU SALAIRE DE TOUTES LES JOURNÉES NON TRAVAILLÉES DANS LE MOIS.

Nous écrivons alors ensemble une lettre à la direction de l’entreprise lui rappelant leur obligation soit de trouver un nouveau chantier pour B. quand le précédent a fermé, soit de lui payer les journées non travaillées, qui sont marquées comme journées d’absence sur la fiche de paie – ce qu’elles ne sont pas.

VICTOIRE : LES JOURNÉES NON TRAVAILLÉES SONT INTÉGRALEMENT PAYÉES.

MAIS ON PEUT AISÉMENT IMAGINER CE QUI SE PASSE QUAND UNE PERSONNE EST SEULE DANS CETTE SITUATION.

INTERVENTION DE DJ - COMMENT ELLE A REFUSÉ DE FAIRE UN TRAVAIL QUI N’ÉTAIT PAS LE SIEN :

Son chef lui demande un jour de faire un travail qui ne faisait pas partie de son poste. Elle refuse. A ce moment là, le chef se met à faire des rapports sur elle, disant qu’elle arrive tous les jours une demi heure en retard.

Ensuite, il ne lui donne pas les produits dont elle a besoin pour nettoyer les toilettes. La dame de l’accueil fait remarquer à Dj. que les toilettes sont propres mais pourtant sentent mauvais. Dj. lui explique que le chef ne lui donne pas de produit pour les toilettes. « Pourquoi tu as dit cela à la dame de l’accueil ? » vient lui dire le chef. Il lui met tellement la pression qu’elle se met en arrêt maladie 15 jours pour pouvoir respirer un peu. Pendant son absence, le chef met à sa place une dame zaïroise. Quand Dj. revient, il lui dit : « Tu n’as plus de place ici, la direction du service t’a virée ». Dj. Raconte : « Je suis allée à la direction direct. Ils me disent de récupérer ma place. Et le chef dit à la dame d’arrêter parce que j’ai fait un scandale.

C’EST DUR DE SE BATTRE, MÊME MOI JE ME SUIS ARRÊTÉE 15 JOURS POUR RESPIRER, MAIS IL FAUT ÊTRE FORTE. »

INTERVENTION DE BAH. DANS LE MÊME SENS :

« Les patrons profitent sur les gens. Si on n’avait pas fait la lettre, ils ne m’auraient pas payée. A mon nouveau travail, le chef me demande de passer un chiffon mouillé sur des ampoules pour les nettoyer. J’ai dit « JE NE FAIS PAS ». C’est dangereux. Passer le plumeau, je peux, mais un chiffon mouillé avec l’électricité, NON JE NE FAIS PAS. J’ai pris une photo. »

« En deux heures le matin j’ai 150 verres, couverts, assiettes à mettre dans la machine, je dois nettoyer les tables, les toilettes et le sol. Le chef me dit : « Le sol, tu nettoies mais il reste des traces ». Je lui ai dit : « Pour enlever les traces il faut passer les machines, mais ça ce n’est pas mon travail ». Avant, c’était un jeune homme qui commandait, il ne nous fatiguait pas. Depuis que Oumar a remplacé le jeune homme, toujours il nous met dans le problème. Un jour ils ont mis des grands cartons à mon étage, soi-disant pour que je les descende avec les poubelles. J’ai dit : « le carton, ce n’est pas mon travail, JE NE FAIS PAS. Je n’ai pas le temps pour ça. Si vous voulez que je fasse du travail en plus, vous payez les heures supplémentaires. Mais en deux heures, je n’ai pas le temps de faire ça en plus du reste. »

GRAND RÉCIT D’ADJ. :

« J’ai travaillé dans une banque. IL Y A UNE FEMME QUI M’A TROP FATIGUÉE LÀ-BAS. Chaque soir je nettoie les tables entre 17h et 19h 30. Elle, une fois que j’ai nettoyé, elle met de la craie sur ses mains et elle fait des taches partout sur le bureau. Ensuite, elle réclame auprès du chef en disant que je n’ai pas nettoyé son bureau.

Pendant une semaine, elle colle des petits papiers sur le bureau du chef pour dire ça. Comme je ne sais pas lire, je ne comprends pas ce qui est écrit, je nettoie le bureau et je remets les papiers bien à leur place.

Le chef me dit : « Il faut faire ton travail bien ! » Je ne comprends pas pourquoi il dit ça. Tous les jours je nettoie les toilettes, les tables, les caméras. Il y a des caméras partout, sauf dans les toilettes. Je passe l’aspirateur partout.

Un soir, je fais semblant de partir, mais je me cache et je suis revenue. Elle ne m’a pas vue. J’ai vu ce qu’elle fait. Après son départ, j’ai de nouveau nettoyé bien, j’ai passé le chiffon, puis je suis rentrée.

QUAND J’AI VU CE QU’ELLE FAIT, JE PENSE : PEUT-ÉTRE ELLE EST MALADE ! CELA CONTINUE PENDANT UNE SEMAINE. JE PARLE TOUTE SEULE TELLEMENT JE SUIS EN COLÉRE. Un garçon arabe m’entend, il me demande qu’est-ce qu’il y a. Je lui explique. Le garçon a filmé avec son téléphone pendant 3 jours ce qu’elle fait le soir.

Un matin, le chef m’appelle : « Assieds-toi ». Il me dit que le bureau est sale. Moi je ne comprends pas bien, je lui dis que toujours je nettoie. Le garçon entend le chef me parler. Il vient. Il a montré avec son téléphone au chef ce que fait la femme. Le chef me dit : « C’est bon, tu continues ton travail ».

Dans ce travail je remplaçais une personne. Quand tu remplaces, tu travailles plus que les autres. Tu fais des choses que la personne elle-même ne fait pas.

OR CETTE DAME CONTINUE À ME PARLER N’IMPORTE QUOI.

ÇA FAIT MAL, MAL, MAL.

Un soir, elle me dit : « Va chercher le chiffon ». Moi je m’assieds à côté d’elle. Je reste sans bouger. Elle m’a crié, crié, elle parle… Je ne réponds pas. Je suis restée calme. « Pourquoi tu réponds pas ? ». Je lui dis : « C’est toi qui fais comme ça, avec la craie. La caméra t’a vue ». Elle prend son sac, elle est partie, elle perd son portable qui tombe de son sac. Le garçon arabe vient et il garde le portable. Elle est plus grande que moi, mais moi je suis plus costaud. Je suis rentrée dans le bus. Je n’en peux plus. Le soir, je dis à mon mari : « Cette dame, ou bien je vais la tuer, ou bien c’est elle qui va aller en prison ».

Samedi, dimanche, je ne travaille pas. Lundi est férié. Comment elle va prendre son portable ?

Mardi, elle me dit « Bonjour Madame », « Bonjour pardon ».

PENDANT 3 MOIS JE NETTOIE LE SOIR ET LE MATIN. MAIS LA FEMME A ARRÊTÉ DE M’EMBÊTER.

Après, la dame que je remplaçais a repris le travail. Le chef lui a expliqué comment ça c’était passé avec sa remplaçante.

Quand tu ne fais pas attention, ça ne va pas pour toi. »

Toutes ces enquêtes sont importantes pour nous tous car les gens y disent la réalité de leur travail, dans une époque où le travail est redevenu un continent inconnu, et nous avons l’intention de poursuivre cette recherche.

Nous pensons qu’on peut et qu’on doit s’appuyer d’ores et déjà sur ces premiers résultats pour CHANGER NOTRE IDÉE DU TRAVAIL :

 Pour comprendre que le travail doit être PRIS EN CONSIDÉRATION EN TANT QUE BASE DE TOUTE VIE.

Pour que les conditions dans lesquelles chacun travaille correspondent à un respect de celle ou celui qui travaille. CAR C’EST LA PERSONNE QUI TRAVAILLE QUI SAIT CE QUI EST POSSIBLE ET CE QUI NE LEST PAS : que ce soit pour son poste, ses horaires, son salaire.

Pour que nous repensions le point que LE TRAVAIL, C’EST DONC QUELQUE CHOSE QUI NE PEUT PAS ÉTRE INTERDIT. A PERSONNE.

AUTREMENT DIT : TRAVAILLER DOIT ÉTRE PENSÉ COMME UN DROIT ABSOLU POUR QUICONQUE, UN DROIT IMPRESCRIPTIBLE, non seulement pour celles et ceux qui arrivent mais pour la jeunesse déjà ici qui souffre tant de n’avoir ni vraie formation ni travail. Au plus loin d’opposer une situation à l’autre, c’est ensemble qu’il faut travailler à les résoudre. L’Ecole des Actes prend cette idée au pied de la lettre, afin que ce droit puisse être réfléchi dans un cadre nouveau que l’Ecole cherche à construire et à faire avancer peu à peu.

Qu’on puisse séparer la question des papiers et celle du travail, et que la question du travail soit la question essentielle, c’est un point moteur dans les hypothèses de l’Ecole, un point « fabricant » de l’Ecole, comme le dit un de ses participants.

PARTIE 2.A : L’URGENCE, POUR CONSTRUIRE SA VIE, DE LIEUX OU HABITER

SUR LA QUESTION DES LOIS :

Nous ne formulons aucune « recommandation d’agir illégalement » ; et nous n’initions non plus aucune « nouvelle législation », ni dans le champ du travail, ni dans celui des papiers, par exemple. Notre point de départ, c’est la conviction qu’il existe des « lois de la vie des gens », et que ce sont les gens eux-mêmes qui peuvent dire quelles sont ces lois.

Voici ce que dit là-dessus notre Premier Manifeste :

ON A TOUS BESOIN D’UN DROIT DU SOL OÙ L’ON VIT,

D’UN PEU D’HUMANITÉ DANS LE COIN DE LA TERRE OÙ L’ON SE TROUVE :

  • CHACUN A BESOIN D’UN DROIT D’ETRE LA, DE POUVOIR POSER SA TETE QUELQUE PART.
  • CHACUN A BESOIN D’UN DROIT DE FRATERNITE PARCE QUE LA FRATERNITE EST CIMENTEE PAR LES HUMAINS, ET QUE LA FRATERNITE PARLE DE CE QUE LA FRANCE A ETE DE GRAND ET DE BON.
  • CHACUN A BESOIN D’UN DROIT DE TRAVAILLER CAR PERSONNE N’AIME VIVRE AVEC L’AIDE. ET LE TRAVAIL EST LA BASE DE TOUTE VIE, IL FOURNIT AUX HOMMES ET AUX FEMMES LA NOURRITURE, LES VETEMENTS, LE LOGEMENT, LES SOINS. DONNER QUELQUE CHOSE A FAIRE A QUELQU’UN, VOILA CE QU’ON PEUT APPELER UN TRAVAIL. CELA VEUT DIRE : « TU ES PARMI NOUS, TU COMPTES ».
  • CHACUN A BESOIN D’UN DROIT DE S’ABRITER PAR TOUS LES MOYENS EN CONSTRUISANT SON PROPRE LOGEMENT, EN OCCUPANT UNE MAISON INHABITEE, CAR ETRE A LA RUE CE N’EST PAS NORMAL, CE N’EST PAS ACCEPTABLE.
  • CHACUN A BESOIN D’UN DROIT DE SE DEPLACER LIBREMENT, CAR LE MONDE N’APPARTIENT A PERSONNE ET AUJOURD’HUI LES MARCHANDISES VIENNENT SUR LES GRANDS BATEAUX, TANDIS QUE LES HUMAINS SONT PRIVES DE LA LIBERTE DE CIRCULER ET TRAVERSENT L’EAU SUR DES ZODIACS, LE DESERT COMME DES COLIS, ET LES MONTAGNES ENNEIGEES AU PERIL DE LEUR VIE.
  • CHACUN A BESOIN D’UN DROIT QUE LA POPULATION LE CONNAISSE : CAR CONNAITRE QUELQU’UN, C’EST POUVOIR CONNAITRE CE QU’IL A DE BON EN LUI ; CELUI QUI ARRIVE QUELQUE PART DOIT POUVOIR DECLARER QU’IL EST LA, AVEC QUELLE HISTOIRE ET QUEL PROJET.

C’est à partir de ces lois de la vie des gens que les lois des Etats et gouvernements peuvent, et doivent, être examinées et jugées.

Il arrive que ces lois (qui sont les lois sous lesquelles nous vivons tous) apparaissent, elles, « illégales » en regard des lois de la vie des gens. Il est bon alors de le dire et de le démontrer. Ainsi, il existe actuellement un seul moyen (pour les gens qui arrivent en France) de déclarer leur présence : c’est de faire une demande d’asile. Or ce n’est pas ce qui correspond à la situation de gens qui viennent ici pour y vivre, tout simplement. C’est pourquoi nous soutenons que ce dont les gens ont véritablement besoin, c’est d’une autorisation de chercher le travail et de travailler qui permettrait à celui ou celle qui arrive ici de commencer à y construire sa vie. L’objection qu’on ne pourrait pas délivrer aux gens une telle autorisation de travailler parce qu’il n’y aurait pas de travail est elle-même complètement « à côté » du réel. La situation réelle est que les gens auxquels cette autorisation de travailler est refusée travaillent, dans les conditions épouvantables du travail au noir, dangereux, souvent non payé, en tout cas pas de manière normale. Avec comme corollaire pour tous : la généralisation de conditions de travail dévastées - la norme idéale devenant, pour les patrons, celle du travail au noir.

Le « jeune mineur isolé », déclarant « illégale » et raciste la loi qui autorise le rapatriement forcé de ceux et celles qui ont construit, de part en part et pas après pas, l’immense trajectoire de leur venue ici, réfléchit dans le même esprit. Il a raison de dire : « Ce n’est pas nous qui sommes ‘illégal’, ce sont les lois qui sont posées sur nous ». (Voir 4ème partie)

De même dans « Sur la grand’route », un des personnages explique qu’après tout, les gens pourraient ne plus aller dans les préfectures, puisque non seulement on ne les y écoute pas, mais rien n’y est prévu qui corresponde à la vie réelle des gens qui arrivent ici.

Cela, ce n’est pas appeler à l’illégalité, c’est le contraire : c’est faire remarquer qu’il y a un problème avec les lois des Etats et des gouvernements quand elles sont aussi éloignées de la vie réelle des gens et de la situation présente du monde.

RENCONTRE DE L’ÉCOLE DES ACTES ET DU SQUAT SCHAEFFER.

Les habitants d’un squat situé rue du Port à Aubervilliers sont venus nous saisir un soir de 2017 lors d’une Assemblée interne de l’Ecole des Actes du fait qu’ils venaient d’être expulsés à la demande de la mairie sous prétexte d’entamer des travaux pour la construction de logements sociaux. Il faisait froid, il y avait quelques femmes et enfants parmi eux. La discussion fut assez tendue et douloureuse car leur demande était que nous acceptions de les loger en urgence dans les locaux de l’école, et cela a été un crève-cœur de devoir leur opposer un refus frontal.

Nous leur avons expliqué que si nous leur accordions de les héberger d’urgence, alors c’en était fini de l’Ecole, car c’était pour nous entrer dans une tout autre activité et orientation, propre aux associations humanitaires. Le but de la création de l’Ecole des Actes est de faire exister un lieu qui ne soit pas soumis à la loi des urgences immédiates souvent très graves de la situation de vie des gens, comme c’est aujourd’hui la règle partout, mais qui se donne le temps et la liberté de réfléchir et établir collectivement les idées qui nous manquent aujourd’hui pour nous orienter ensemble dans le monde et trouver de nouveaux chemins. Non pas de faire croire qu’il y a des solutions là où il n’y en a pas, pas non plus servir de palliatif ou d’exutoire à l’absence de solutions, mais travailler sur ce qui n’a pas de solution afin de se mettre à jour sur les conditions de leurs possibilités réelles. Si par conséquent nous étions prêts à travailler avec eux sur le long terme ce ne pouvait être dans le registre de l’aide ou du soutien. Notre proposition, c’est de travailler à ce que le squat ne soit plus une extension de la rue, un trou où les gens se cachent à défaut d’avoir un véritable abri, mais un lieu capable de se faire valoir comme utile, légitime, organisé et pouvant ainsi se présenter comme un logement véritable, fondé sur la capacité des habitants à y construire leur vie collectivement, et tel que si l’Etat n’a pas les moyens de loger les gens autrement, alors la moindre des choses est qu’il les laisse s’organiser par eux-mêmes de cette façon. Autrement dit, notre proposition est de travailler à MODERNISER cette affaire des squats : c’est-à-dire la faire reconnaître et officialiser, légaliser.

Cette discussion a débouché sur un premier travail commun d’écriture d’une lettre à la Maire d’Aubervilliers [v. Premier Manifeste], rappelant que la mairie dispose selon la loi d’un pouvoir de réquisition afin de loger des gens sans-abris dans sa commune. Cette lettre a conduit à une promesse de relogement sans lendemain.

Ils ont rapidement trouvé un nouveau lieu où s’abriter et nous avons alors travaillé avec eux à l’écriture d’une affiche leur permettant de se présenter au voisinage du quartier [VOIR 1/ « NOUS NE SOMMES PAS DES GENS NEGATIFS… »] et qu’ils ont affichée à l’entrée du squat.

La deuxième rencontre a été celle des habitants du squat Schaeffer. Il y avait déjà toute une histoire des rapports entre eux et le Théâtre de la Commune dont est issue l’Ecole des Actes : certains d’entre eux avaient joués dans une pièce d’Olivier Coulon-Jablonka dans une « pièce d’actualité » initiée par la Commune, en suite de quoi celle-ci avait entamé des négociations avec la Préfecture afin de faire régulariser les acteurs ainsi que l’ensemble de leurs amis du squat. En cours de négociations, le squat situé alors rue Victor Hugo (un ancien Pôle emploi) a été expulsé et le théâtre a alors décidé de les héberger dans ses locaux avant qu’ils ne trouvent un nouveau squat, rue Schaeffer, où ils se sont constitués en Collectif Schaeffer. Certains des jeunes gens du squat sont devenus des participants très assidus de l’Ecole. Nous avons rencontré leurs principaux dirigeants à l’Ecole quelques temps avant leur expulsion de la rue Schaeffer, avant l’été 2018, où nous avons décidé ensemble de travailler à la question de leur organisation interne, d’examiner en particulier les conditions de possibilité de surmonter les graves impasses qu’ils avaient rencontrées sur ce point rue Schaeffer pour mieux maîtriser l’organisation de leur prochain squat, après l’expulsion qui devait avoir lieu fin juillet. A été décidé :

1/ De rompre définitivement avec l’idée d’écrire une liste des habitants, liée au fait que l’existence du squat est subordonnée à un processus de demande de régularisation de ceux qui sont sur la liste (i.e. les premiers arrivés qui ont ouvert le squat), et qui a l’extrême inconvénient de séparer le squat entre ceux qui comptent et qui se reposent sur la promesse de leur régularisation personnelle et ceux qui n’ont aucun droit, et la corruption interne des rapports de pouvoir qui s’instaure alors.

2/ De prendre rendez-vous avec le squat des Sorins à Montreuil, rencontre qui a été très importante pour nos amis et extrêmement riche : il en a principalement résulté l’idée que la condition d’une bonne organisation interne d’un squat est d’avoir un nombre proportionnellement important, en regard du nombre d’habitants, de gens s’impliquant dans sa direction à tous les niveaux, et tous capables de tenir avec une grande fermeté les principes fondamentaux de l’organisation ; on en a d’ailleurs conclu que ce qu’ils étaient parvenu à réaliser ne pouvait plus être qualifié de « squat » mais devait être considéré comme une « foyer » à part entière, un foyer de type nouveau aménagé avec l’aide d’architectes et l’appui de la mairie de Montreuil dans la structure d’une ancienne usine.

3/ D’écrire ensemble une charte portant sur l’organisation interne et avec laquelle devraient se déclarer d’accords tous ceux qui souhaiteraient à l’avenir habiter dans le nouveau squat, et dont le premier principe, essentiel, est : « UN SQUAT ABRITE DES GENS QUI ÉTAIENT A LA RUE, MAIS LE SQUAT CE N’EST PAS LA RUE ». [voir 2/]

4/ D’écrire également un règlement établissant les principes de la direction interne du squat.

5/ De proposer aux architectes qui avaient répondu positivement à notre « Lettre aux architectes » [v. Premier Manifeste ; lettre qui a été publiée dans la revue d’architecture D’A] de travailler à l’amélioration des conditions de vie à l’intérieur du squat. Cela a conduit dans l’Ecole à la création du LAPA (Laboratoire-atelier populaire d’architecture) qui a longuement travaillé fin 2018 et jusqu’à l’été 2019 à l’élaboration d’un chantier de construction de cabanes d’habitations à l’intérieur du vaste espace (très froid l’hiver) de l’ancien supermarché où se situe désormais le squat, à cheval entre Aubervilliers et la Courneuve. Ce chantier est resté inachevé suite à la décision d’expulsion qui a découragé les gens. 

La société propriétaire des locaux ayant assigné les habitants au tribunal en demandant leur expulsion, une lettre a été écrite au propriétaire lui proposant une négociation sérieuse concernant le maintien, temporaire et sous conditions, de la présence des habitants dans les lieux, à l’initiative du Théâtre de la Commune, de l’Ecole des Actes et du LAPA. [v. 3/]  Le propriétaire n’a pas répondu, mais il est important de poursuivre et de généraliser ce type d’initiative. Lorsque la situation du côté de la loi tend à criminaliser les squats comme jamais (loi Elan), il faut d’autant plus ouvrir les choses, discuter avec les propriétaires et les mairies. Il faut aussi ouvrir la discussion de manière à permettre à toutes sortes de gens de se déclarer du côté du bien-fondé de l’existence des squats. C’est la raison pour laquelle nous avons écrit un « Appel en faveur de prises de position pour les squats populaires » [v.4]

CE QUI IMPORTE PRINCIPALEMENT DANS LA SÉRIE DES CHOSES QUE NOUS AVONS INITIÉES JUSQUE-LÀ N’EST PAS TANT L’EFFICACITÉ IMMÉDIATE DES MESURES QUI SONT DÉCIDÉES (EFFICACITÉ NECESSAIREMENT LIMITÉE CAR IL FAUT LE TEMPS D’INSTALLER CELA SOLIDEMENT DANS LA SITUATION), QUE LA CONSTITUTION DE CAPACITÉS NOUVELLES DES HABITANTS DES SQUATS (PAS SEULEMENT DES DIRIGEANTS) À SE CONSTRUIRE SUBJECTIVEMENT ET COLLECTIVEMENT DANS LE GRAND HORIZON QU’ELLES DESSINENT PETIT À PETIT, DANS LA MESURE OU CET HORIZON DE CHOSES FAIT VALOIR NON L’INTÉRÉT PARTICULIER DE TEL OU TEL SQUAT, MAIS L’EXISTENCE D’UN BIEN COMMUN CONCERNANT LA QUESTION DU LOGEMENT POPULAIRE AUJOURD’HUI.

*1/ Affiche réalisée par les habitants d’un squat en 2017 (déjà publiée dans notre 1er Manifeste)

NOUS NE SOMMES PAS DES GENS NÉGATIFS.

NOUS SOMMES DES PERSONNES LUCIDES, DES PERSONNES EN DÉTRESSE.

NOUS SOMMES LÀ AVEC NOS ÉPOUSES ET NOS ENFANTS, PARCE QUE NOUS N’AVONS PAS D’AUTRE ABRI OÙ NOUS LOGER.

QUAND NOUS SOMMES ARRIVÉS, LE COIN ÉTAIT PRESQUE INHABITABLE DANS L’ÉTAT, À CAUSE DES HERBES. APRÈS NOS TRAVAUX, LES VOISINS NOUS ONT FÉLICITÉS DE CE QU’ON AVAIT FAIT COMME BONS TRAVAUX. VOUS POUVEZ VOIR LES PHOTOS AVANT ET APRÈS NOS TRAVAUX POUR ENLEVER LES HERBES.

NOUS AVONS LES PREUVES QUE NOUS SOMMES LÀ DEPUIS LE 21 SEPTEMBRE 2017. NOUS AVONS L’INTENTION DE GARDER LES LIEUX PROPRES, DE NE PAS FAIRE DE BRUITS GÊNANTS POUR NOS VOISINS, DE NE PAS FAIRE DES ACTIONS SUSPECTES.

COMME NOUS N’AVONS PAS UN AUTRE ENDROIT POUR PARTIR, NOUS VOULONS RESTER DANS CETTE CONDITION-LÀ JUSQU’À CE QUE NOUS TROUVIONS UNE AUTRE SOLUTION DE LOGEMENT.

S’IL FAUT DES TRAVAUX POUR RENDRE NOTRE HABITATION PLUS SÛRE, NOUS SOMMES PRÊTS.

NOUS SAVONS QUE NOUS NE SOMMES PAS DANS LE DOMICILE DE QUELQU’UN, ET DONC ON NE PEUT PAS NOUS FAIRE PARTIR SANS ENGAGER UNE PROCÉDURE CONTRE NOUS.

NOUS SOUHAITONS TROUVER UN ACCORD AVEC LE PROPRIÉTAIRE DE L’ENTREPÔT, ET POUVOIR RESTER LÀ PAISIBLEMENT AVEC NOS ENFANTS, NOS FEMMES ET NOS PETITS FRÈRES.

NOUS NE SOMMES PAS DES GENS QUI SE CACHENT ; NOUS SOMMES LÀ  POUR CHERCHER LE TRAVAIL ET NOURRIR NOS FAMILLES, COMME TOUT LE MONDE, PAR NOTRE TRAVAIL.

ACTUELLEMENT, IL N’Y A AUCUNE SOLUTION POUR NOUS DE LA PART DE L’ETAT ET DES ADMINISTRATIONS COMME LE 115 QUI S’OCCUPENT DE L’HÉBERGEMENT D’URGENCE. POUR UNE PERSONNE, ÊTRE PRIVÉE D’UN LOGEMENT, C’EST UN TROUBLE À L’ORDRE PUBLIC. AUSSI IL EXISTE UNE LOI DES NATIONS UNIES, QUE LA France A RECONNUE EN 1981, ET QUI DIT QUE TOUTE PERSONNE A DROIT À UN LOGEMENT.

C’EST POURQUOI, SI ON NE PEUT PAS NOUS LOGER, NOUS DEMANDONS QU’ON NOUS LAISSE AU MOINS EN PAIX QUAND NOUS OCCUPONS UN BÂTIMENT QUI NOUS PERMET D’AVOIR UN TOIT SUR LA TÊTE.

ON NE PEUT PAS NOUS CHASSER AU NOM DE NOTRE SÉCURITÉ.

QU’EST CE QUI EST LE PLUS DANGEREUX POUR NOUS : RESTER LÀ, OU ÊTRE À LA RUE ?

2/Charte écrite par un squat/foyer :

1) Un squat abrite des gens qui étaient à la rue, mais le squat ce n’est pas la rue : c’est la première chose que chacun doit comprendre et avec quoi chacun doit être d’accord.

Dans une maison normale il y a des règles, dans un squat aussi. Chez toi, tu es capable de tenir ta maison en bon état, alors pourquoi pas le squat ? On a souffert pour l’avoir. Il faut souffrir pour l’entretenir. Il faut le respect entre nous.

On propose de barrer le mot « squat » et d’appeler le lieu où on habite : « foyer ». « Foyer » cela veut dire : on a un toit, on le respecte, on en prend soin.

2) Alcool et drogue sont totalement interdits. Chacun doit respecter cette interdiction. Si quelqu’un est pris avec ça, on le met dehors directement. Même chose si quelqu’un est pris à voler.

2) Chacun doit travailler à la paix : la paix avec les autres habitants et la paix avec le quartier autour.

Pour cela, il faut :

  • garder les lieux propres (en priorité les cuisines et les WC)
  • ne pas faire de bruits gênants pour nos voisins
  • ne pas se bagarrer ni chercher à se faire justice soi-même en cas de problème entre habitants
  • ne pas faire d’actions suspectes

Si quelqu’un fait des histoires qui peuvent poser problème à l’existence même de notre foyer, on lui donne un avertissement et une amende de 20 euros. S’il recommence, l’amende est de 50 euros. S’il continue à chercher la bagarre, il devra quitter. Ces règles sont faites pour protéger le foyer, pas pour embêter les gens.

3) Dans le foyer/squat, la vie est collective, il faut accepter d’être un acteur de cette vie. Chaque semaine, on a besoin :

- d’une équipe qui se charge de l’assainissement et du nettoyage,

- d’une équipe qui se charge de la sécurité

- et d’une équipe qui s’occupe des rapports avec les voisins.

Il faut au moins 4 personnes dans chaque équipe. Chacun doit connaître son rôle dans l’équipe et le travail doit se faire dans l’ordre.

4) L’eau et l’électricité : Si on a pu obtenir l’ouverture de l’eau et de l’électricité dans le squat, chacun doit être d’accord qu’on s’organise et se cotise pour payer régulièrement l’eau et l’électricité parce que ça permet aussi à notre foyer de durer.

5) On doit faire des réunions régulières de l’ensemble des habitants pour examiner les problèmes qui se posent et prendre des décisions quand on est arrivés à un accord général sur une proposition.

Le jour et l’heure de ces réunions doivent être fixés plutôt dans le week-end, pour que même des gens qui travaillent puissent y assister.

6) Pas de réunions après la réunion : Une décision prise en réunion est collective, elle doit être appliquée. Pas de réunion après la réunion pour changer la décision. Sinon le désordre vient.

7) Il n’y a pas de liste des habitants du foyer/squat, car les listes créent la division entre les gens. Mais il y a un nombre maximum d’habitants décidé au départ, en fonction de la place qui existe.  Par exemple, s’il y a de la place pour 100 et qu’on est 60 au départ, on décide qu’il y a encore 40 places disponibles pour des nouveaux. Tant que le nombre fixé n’est pas atteint, il est possible d’accepter des gens nouveaux, et si quelqu’un part il peut être remplacé par une personne nouvelle.

Toute nouvelle personne doit être approuvée par l’ensemble des habitants, dans la limite du chiffre maximum.

Si quelqu’un amène une personne sans l’accord des autres, il a une amende de 50 euros et la personne qu’il a fait venir part quand même.

Pour ceux et celles qui cherchent un abri et que le foyer ne peut pas accueillir, on peut leur donner des conseils sur comment ils peuvent à leur tour créer un lieu pour s’abriter.

8) Chaque habitant reçoit un exemplaire de cette charte. Tous les points lui sont expliqués. S’il est d’accord, il signe un exemplaire de la charte qu’il s’engage ainsi à respecter. C’est la direction du foyer/squat qui garde ce document.

Tout le monde est signataire,

tout le monde est responsable,

il ne faut pas « se reposer » sur les dirigeants :

il faut des porte paroles et des dirigeants pour certaines choses,

mais les idées viennent des gens.

*3/ Proposition de négociations entre un squat et un propriétaire

IMMOBILIERE EUROPEENNE DES MOUSQUETAIRES

Monsieur Pierre LEBLANC

24 RUE AUGUSTE CHABRIERES

75015 PARIS

Monsieur le Président et Directeur Général,

La Direction du Théâtre de la Commune, celle de l’Ecole des Actes ainsi que l’atelier d’architecture populaire de l’Ecole des Actes s’associent à la demande du collectif Schaeffer de pouvoir entrer en contact avec le propriétaire du lieu que les membres du collectif habitent actuellement, 26 rue de Valmy à La Courneuve, afin de négocier la reconnaissance de leur présence, sa durée possible et ses conditions.

Connaissant à quel point le logement fait dramatiquement défaut, en particulier pour les demandeurs d’asile et réfugiés auxquels aucun hébergement ne peut bien souvent être proposé, il nous semble en effet raisonnable et utile de soutenir une initiative par laquelle des gens dans cette situation se montrent capables - avec le peu de moyens mais l’énergie énorme et les connaissances manuelles dont ils disposent - d’installer par eux-mêmes un lieu où ils puissent au moins être à l’abri et jeter les bases d’une vie décente.

La possibilité pour des groupes d’artistes de « squatter » des bâtiments temporairement inoccupés est entrée dans les mœurs et se pratique couramment dans des zones urbaines en attente d’une destination définitive.

Il y a plusieurs avantages reconnus à cela : éviter que le bâtiment inoccupé ne s’abîme, en assurer en quelque sorte le gardiennage et l’entretien, en faire un lieu vivant anticipant sa destination ultérieure.

Plutôt que de dépenser de l’argent dans des procédures juridiques, de coûteuses interventions de police visant ensuite à expulser les occupants, et à garder les bâtiments avec des maîtres chiens ou des dispositifs d’alarme sophistiqués, ce qui ne peut empêcher de nouvelles occupations plus tard et dans de nouveaux lieux, il nous semble qu’il serait plus raisonnable et plus utile que puissent être fixés entre propriétaire et occupants les délais et les conditions de leur domiciliation dans le lieu.

Le collectif Schaeffer est composé de gens expérimentés et organisés, ils ont en particulier édicté une charte remarquable, visant à faire respecter de très sérieuses règles internes au groupe d’habitants composant le squat. Ils ont déposé en préfecture leur demande de création d’une Association loi de 1901 afin de pouvoir se constituer en clients des fournisseurs d’eau et d’électricité, et ils se sont déjà organisés, avec l’aide la Mairie d’Aubervilliers, concernant l’évacuation des déchets.

Ils sont également décidés à respecter les lieux de manière à pouvoir les rendre à terme à leur propriétaire sans qu’ils aient été endommagés. Sur ce point, comme sur les questions de sécurité, en particulier en matière de risques incendie, l’aide et les conseils d’architectes est précieuse.

Il existe en la matière un précédent très fortement encourageant : celui des Sorins à Montreuil, installé depuis 2012 dans un bâtiment industriel inutilisé, et qui a parfaitement fonctionné, suite à un partenariat entre les occupants, la Mairie de Montreuil et une association d’architectes (les Architectes de l’Urgence) qui ont aidé à résoudre les problèmes d’aménagement, d’hygiène et de sécurité.

Nous pensons aussi que l’image du propriétaire ainsi que celle des autorités municipales et départementales sortiraient grandies de s’engager dans une telle expérience, capable de démontrer que des situations complexes de la vie collective peuvent se régler autrement que par le recours à la force, mais au contraire dans un respect réciproque, dès lors qu’on part de la reconnaissance de problèmes réels de la vie des gens, et d’une confiance dans la capacité de ceux-ci à résoudre avec peu de moyens mais beaucoup d’intelligence ces problèmes.

La direction du Théâtre de la Commune, celle de l’Ecole des Actes et l’atelier d’architecture populaire de l’Ecole souhaitent vivement que la démarche du Collectif Schaeffer puisse aboutir et que des négociations avec le propriétaire du bâtiment puisse déboucher sur une entente.

A notre connaissance, et sauf erreur de notre part, le propriétaire du site VALDENIS 26 rue de Valmy 93120 LA COURNEUVE est :

- la SCI VALDENIS, 11 allée des Mousquetaires 91070 BONDOUFLE.

La gérance des lieux est assurée depuis le 14.05.2016 par :

- l’IMMOBILIERE EUROPEENE DES MOUSQUETAIRES 24 rue Auguste Chabrières 75015 PARIS,

dont le Président du Conseil d’Administration et Directeur général est Monsieur Pierre LEBLANC depuis le 10.08.2016.

C’est donc à Monsieur Pierre LEBLANC que nous avons l’honneur d’adresser une demande de rencontre dans les meilleurs délais, rencontre qui permettrait, nous l’espérons, de régler à l’amiable cette situation dans l’intérêt des deux parties. Nous souhaiterions pouvoir connaître sous huit jours votre réponse de principe. Merci de bien vouloir nous répondre à l’adresse du Théâtre de la Commune.

Bien cordialement,

Marie-José Malis, Théâtre de la Commune

Judith Balso, Ecole des Actes

Guillaume Nicolas, Atelier d’architecture populaire de l’Ecole des Actes

*4/ Appel en faveur de prises de position pour les squats populaires :

Ecole des Actes, Aubervilliers (93)

Laboratoire-atelier populaire d’architecture (LAPA)

Juillet 2019

Nous partons du constat qu’aujourd’hui la France manque cruellement de lieux pour accueillir les nouveaux venus que la guerre ou les nécessités de la vie jettent sur les routes et les embarcations de fortune. Leur légitimité à vivre ici ne fait aucun doute. A commencer par le fait que ces gens participent grandement au développement de la France, par leur travail sur les chantiers, dans la restauration, les travaux publics, la sécurité, le nettoyage et le ménage.

A l’Ecole des Actes, depuis 2016, nous travaillons tous ensemble à trouver des chemins nouveaux pour penser et résoudre par le haut les difficultés rencontrées par le pays. Ces difficultés concernent les nouveaux venus, mais également tous ceux qui vivent déjà ici, qu’ils y soient nés ou qu’ils y soient arrivés récemment ou il y a trente ans.

Nous savons que ces nouveaux venus, par leur courage, sont souvent des exemples pour tous : « Nos histoires, ce ne sont pas de petites histoires. Ce sont des choses qui mettent en cause l’humanité dans son coeur. » [Cette citation et celles qui suivent sont issues des travaux de l’école des Actes.]

Les deux grandes difficultés qu’ils rencontrent en arrivant en France sont l’interdiction de travailler et l’impossibilité matérielle et administrative de se loger dans les logements sociaux, les logements privés ou par le système de l’hébergement d’urgence (Voir l’affiche réalisée par les habitants d’un squat en 2017).

***

Depuis plus de trois ans, nos amis du collectif Schaeffer sont une centaine à s’être organisés pour se loger ensemble à Aubervilliers (93). D’abord dans un lieu vide rue Victor Hugo, puis dans la rue, ensuite dans un garage rue Schaeffer, puis rue du Port, et dernièrement dans un entrepôt, rue de Valmy inoccupé depuis 2012.

Ce sont des gens sérieux. Leur capacité à s’organiser et à rester unis dans toutes ces épreuves en est la démonstration. Ils ont écrit une charte d’organisation interne afin de régler la vie quotidienne et les relations avec la mairie et le voisinage. (Voir la Charte du squat/foyer)

Leur histoire est exemplaire pour tous.

Mais malgré leur ténacité pour rester dignes et organisés, et malgré les demandes de rentrer en contact avec le propriétaire de l’entrepôt pour discuter de la situation (Voir la lettre adressée à la société immobilière propriétaire), celui-ci a ignoré toutes les tentatives de dialogue et a obtenu de la justice une expulsion qui peut avoir lieu à tout moment à partir de la fin juillet 2019.

Face au réflexe d’expulsion de la part des propriétaires et étant donné la gravité de la situation,nous pensons que ce qui est urgent actuellement, c’est que la question des squats populaires et du sort de leurs habitants sorte des tribunaux pour être discutée publiquement.

Et d’abord nous devons faire connaître ce nom : SQUATS POPULAIRES, faire connaître leur existence et défendre leur légitimité :

« Chacun a besoin d’un droit que la population le connaisse : car connaître quelqu’un, c’est pouvoir connaître ce qu’il a de bon en lui ; celui qui arrive quelque part doit pouvoir déclarer qu’il est là, avec quelle histoire et quel projet. »

Nous affirmons que les squats populaires sont bons et nécessaires pour les gens qui choisissent de s’y installer et d’y habiter : « Chacun a besoin d’un droit de s’abriter par tous les moyens en construisant son propre logement, en occupant un lieu inhabité, car être à la rue ce n’est pas normal, ce n’est pas acceptable. »

Un squat, cela peut être un lieu d’organisation exemplaire si on laisse aux gens le temps d’y faire des travaux de mise en sécurité, et d’y vivre autrement qu’ils ne vivent quand ils sont à la rue.

Nous appelons à reconnaître que les squats populaires sont des lieux positifs pour au moins quatre raisons :

1/ Les squats populaires sont aujourd’hui nécessaires. Ils offrent à leurs habitants une sécurité et une stabilité temporaires et la possibilité de commencer à se construire un parcours de vie. Ils sont organisés par les nouveaux venus, mais accueillent aussi des personnes qui sont en France depuis longtemps ou qui y sont nées et qui ont des impossibilités de se loger autrement. Cela devrait être à l’État et aux mairies de pourvoir à ce besoin ; mais ils n’en ont pas la volonté ou la capacité. Dans les squats populaires, les habitants s’organisent pour les besoins quotidiens de tous : la toilette, les repas, le sommeil, les services rendus mutuellement. Ils sont à tous égards plus en sécurité et ont une meilleure hygiène que dans la rue.

2/ Les squats populaires peuvent être inventifs sur des modes d’organisation collective adaptés à la vie des gens. « Dans le squat, les gens peuvent construire eux-mêmes ce dont ils ont besoin, organiser l’espace à leur façon. » Comme les squats d’artistes qui sont bien acceptés par les autorités, les squats populaires sont des lieux d’invention et d’expérimentation de principes de vie collective. Les habitants déterminent ensemble, en adultes responsables, leurs principes d’organisation. Ils ne sont pas infantilisés comme dans les résidences sociales ou l’hébergement d’urgence, qui ont des règlements interdicteurs et policiers.

3/ Les squats populaires sont bons pour la ville. Tout comme les foyers ouvriers participent à la vie collective d’un quartier, un squat peut assurer une présence permanente et rassurante, même tard le soir. Ce sont aussi des lieux où les gens du quartier pourraient venir manger, ou trouver de petits services, tels que la réparation de vélos et scooters, etc.

Il pourrait donc être envisagé qu’il entre dans les usages que des lieux de type entrepôts ou usines ou magasins non utilisés au bout de 5 ans soient considérés comme disponibles aux fins d’y installer un squat.

4/ Les squats populaires sont bons pour le propriétaire. Dès lors que les choses sont organisées en bonne intelligence avec le propriétaire, un squat populaire évite à celui-ci de coûteux frais de gardiennage qui peuvent être investis dans l’entretien ou l’aménagement léger du lieu, en attendant un projet à venir ultérieurement. Nous pensons que les habitants des squats populaires doivent systématiquement entrer en contact avec le propriétaire du lieu occupé et la mairie, afin de leur proposer une occupation négociée des lieux. Nous pensons aussi qu’ils peuvent demander à des tiers (architectes, institutions, associations…) d’être leurs garants.

Que les squats populaires constituent une solution réaliste et désirable dans l’état actuel du pays, c’est ce que nous proposons de faire connaître largement et de partager avec tous.

 Nous connaissons des précédents encourageants, comme le squat-foyer des Sorins à Montreuil (93) où vivent plus d’une centaine de personnes depuis 2012. Les travaux initiaux d’aménagement et de mise en sécurité ont été réalisés en partie par les habitants, et coordonnés par des architectes. Ils ont coûté 1200 euros par personne, somme comparable au coût d’un hébergement d’urgence d’un mois dans un hôtel. Depuis, les habitants paient leurs consommations d’eau et d’électricité et se cotisent pour l’entretien du bâtiment et des installations sanitaires. Ils sont organisés à partir d’une charte intérieure qu’ils ont inventée. Et ils ont nommé « foyer » ce lieu qu’ils ont créé.

Nous écrivons cet appel pour tous ceux et celles que cette question touche, afin qu’ils puissent à leur tour déclarer leur position et compléter ce premier texte.

En particulier, nous souhaiterions entendre et pouvoir publier les points de vue d’architectes, de juristes et avocats, et l’expérience d’autres habitants de squats, y compris de squats d’artistes.

PJ : 4 annexes : Affiche réalisée par les habitants d’un squat / Charte d’organisation de la vie dans un squat/foyer / Proposition de négociations adressée à un propriétaire / Appel en faveur d’une prise de position pour les squats populaires.

PARTIE 2.B

APPEL POUR LA CRÉATION D’UN RÉSEAU

DE LOCATIONS POPULAIRES DE TYPE NOUVEAU

La façon dont sont logés les gens, y compris des gens qui vivent en France depuis longtemps, l’état de ces logements, est une dimension très forte de ce dont les femmes parlent au fur et à mesure des assemblées qui se tiennent avec elles dans l’Ecole.

NS nous décrit ainsi dans quelles conditions elle vit dans Aubervilliers. Après son licenciement, elle habitait chez quelqu’un. Puis elle a trouvé cet endroit, rue Hemet : une pièce de 15 m2 au rez de chaussée, pas meublée, avec seulement un lavabo cassé ; le frigo et le gaz (une bouteille) sont collés au lit, la douche et les toilettes sont ensemble dans un recoin. Tout est pourri. Il y a de l’humidité sur les murs. Les fils électriques pendent partout à l’extérieur. Il n’y a pas de chauffage, l’électricité et le gaz sont à payer en plus, et le propriétaire lui demande 560 euros par mois. NS tousse, elle est tout le temps malade avec cette humidité.

C’est au fond d’une cour. Il y a plus d’une dizaine de familles qui vivent là. Le propriétaire ne répare rien. Le ballon d’eau chaude est pourri.

NS a contacté le service d’hygiène de la Mairie. Ils sont venus et ont dit au patron qu’il doit changer le ballon. Il l’enlève mais il ne le remplace pas. Résultat : NS n’a plus d’eau du tout, ni froide ni chaude. Pendant des mois elle doit aller chercher l’eau chez une voisine.

Le propriétaire a été convoqué 3 fois au tribunal de Bobigny à la demande d’un avocat des locataires (le DAL s’est occupé de cette situation en faisant cotiser les gens pour prendre un avocat et intenter un procès au propriétaire). NS a déjà versé 2000 euros en cotisations. Le tribunal a envoyé un huissier constater la situation.

NS décide alors de ne plus payer le loyer.

On cherche à obtenir pour elle une place dans une résidence sociale en urgence. Sans réponse d’ADOMA.

En septembre 2017, il y a un article dans l’Humanité Dimanche décrivant l’horreur de ces logements.

On réécrit en octobre au service d’hygiène de la Mairie. On leur demande de reloger NS ou au moins d’appuyer sa demande de logement auprès d’ADOMA.

Ils viennent le 28 octobre 2018. Ils disent au propriétaire et à NS : une personne sans eau, c’est interdit. Ils disent aussi au propriétaire… que c’est à lui de reloger NS ! Le propriétaire réinstalle alors l’eau froide, et c’est tout.

Avec le froid qui arrive, c’est impossible qu’elle reste encore dans ce logement. Comment faire ? Insister auprès d’ADOMA, refaire une demande de logement auprès de la Mairie en insistant sur l’urgence…. Finalement NS trouve une chambre à louer, très cher, dans l’appartement d’une connaissance.

  • CETTE ENQUÉTE SUR LA SITUATION DE NS EST REVERSÉE À L’ASSEMBLÉE COMMUNE DE L’ÉCOLE : ELLE PERMET DE FAIRE COMPRENDRE À TOUS LA SITUATION ACTUELLE EN MATIÉRE DE LOGEMENT :

« Ce qui existe aujourd’hui pour trouver un logement, c’est :

- D’un côté, les agences qui assurent la location des appartements appartenant à des propriétaires privés. Ces agences exigent un contrat de travail et des revenus au moins égaux à trois mois de loyer — ce que beaucoup de gens n’ont pas.

- D’un autre côté, il y a les logements « sociaux » pour lesquels il faut aussi avoir un « bon » salaire, et auxquels il n’est pas possible d’accéder si l’on n’a pas de carte de séjour, ou si l’on n’a pas une famille et des enfants à charge, tant les listes d’attente sont longues, et le nombre de ces logements est très loin d’être suffisant pour tous ceux qui en ont besoin.

C’est parce que ces deux systèmes excluent beaucoup de gens qu’il existe ces « marchands de sommeil » qui louent à des prix exorbitants et sans quittances des logements très vieux, très souvent insalubres et qui présentent de grands dangers pour ceux qui les occupent car ils sont pleins d’humidité, car l’électricité et le gaz ne respectent pas les normes de sécurité, et les cafards et les rats y pullulent.

L’EXISTENCE DE CE « MARCHÉ NOIR » DU LOGEMENT MONTRE À QUEL POINT IL Y A BEAUCOUP DE GENS QUI SONT EN MANQUE ABSOLU DE LOGEMENT.

Aujourd’hui, les conditions de travail désastreuses rendent impossible à beaucoup de gens d’avoir les fiches de paie demandées par les agences ou par les organismes sociaux. Car il arrive souvent que les patrons n’inscrivent pas sur les fiches de paie la totalité des heures de travail réellement travaillées, pour ne pas avoir à payer les cotisations sociales correspondantes. Il arrive même que des patrons ne veuillent pas du tout faire de fiches de paie, et qu’ils obligent les gens à travailler « au noir » sans être déclarés.

Pourtant, avoir un logement pour se poser et se reposer est indispensable à toute personne. Celui qui n’a pas de logement décent risque en même temps de perdre son travail, s’il y arrive fatigué et pas lavé. »

  • EN OCTOBRE 2018, IL SORTIRA DE CETTE PRÉSENTATION ET DE DISCUSSIONS DANS L’ASSEMBLÉE LA PROPOSITION DE CRÉER UN NOUVEAU DISPOSITIF DE LOCATIONS EN RÉSEAU ET SANS INTERMÉDIAIRE :

 « Nous avons la conviction qu’il est possible d’inventer un nouveau système où des propriétaires d’appartement et des gens qui cherchent un logement entrent directement en contact, sans intermédiaire. Il s’agirait alors d’un rapport fondé sur la confiance et sur l’engagement. De la part de celui qui prend l’appartement, ce serait l’engagement de payer un loyer et d’entretenir les lieux. Quand la personne ne peut pas payer de loyer, cela pourrait être aussi l’engagement de rendre des services au propriétaire, de faire des petits travaux pour lui. De la part du propriétaire, cela pourrait être l’engagement de loger des personnes moyennant un prix raisonnable, que ceux-ci peuvent payer.

Ce système existe déjà dans d’autres pays et ici-même entre étudiants et personnes âgées.

Il peut aussi exister grâce à la volonté partagée de rendre la vie possible pour les gens les plus pauvres.

Nous nous adressons donc à toutes les personnes qui pourraient aider tous ceux qui ont une grande difficulté à trouver un logement. »

  • LORS D’UNE ASSEMBLÉE PUBLIQUE AU PALAIS DE TOKYO EN NOVEMBRE 2018, LA MISE EN DISCUSSION DE CETTE PROPOSITION DE L’ÉCOLE DES ACTES A PERMIS QU’UN NOUVEAU POINT SOIT PRÉCISÉ :

Pour que ça fonctionne il faudra que soit élaborée une charte précisant les engagements de chacun, afin quil ny ait pas dabus ni dun côté ni de lautre. Reste à réaliser matériellement ce réseau. Nous en sommes là.

PARTIE 3

OUVRIR UNE NOUVELLE ORIENTATION

POUR LE TRAVAIL JURIDIQUE

SUR LES SAVOIRS :

Celui ou celle qui se révolte contre le monde actuel doit d’abord en acquérir une vraie connaissance. Or connaître le monde aujourd’hui, c’est très exigeant : cela suppose de le connaître non pas à partir de la parole des experts ou des spécialistes mais à partir de la pensée des gens en regard des situations qu’ils vivent.

Nous ne parlons pas ici de l’enregistrement des seuls vécus ou de témoignages qui peuvent être mis, indifféremment, au service de la dénonciation abstraite du « système » ou au service des opinions dominantes.

Ce qui nous paraît manquer aujourd’hui, ce sont des enquêtes menées non pas « sur » les gens – il y en a pléthore, depuis les sondages incessants jusqu’aux travaux « participatifs » -, mais avec les gens eux-mêmes, c’est à dire non pas sur les situations, mais bien sur les pensées formulées de l’intérieur de chacune de ces situations.

De cette absence, résulte une incapacité de former aucune idée neuve en matière d’organisation collective de la vie. Il nous paraît donc extrêmement urgent pour la pensée de créer de nouveaux lieux où de telles idées et hypothèses puissent être travaillées.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons engager une interlocution, sur la question du droit ou de l’économie (comme nous l’avons fait sur la question de l’architecture), avec des universitaires et des praticiens conscients des impasses où se trouve leur discipline, faute de la croiser avec une capacité des gens eux-mêmes à penser leur situation.

Si des idées neuves commencent à apparaître dans de telles conditions, elles peuvent irriguer et renouveler le champ des connaissances existantes : par exemple, dans le champ du droit, il faudrait que des juristes se mettent sérieusement au travail avec nous pour proposer de nouvelles catégories du droit au séjour et du droit au travail ; de même que des architectes ont pu commencer à travailler avec nous sur une nouvelle vision de logements qui permettent à tous de vivre mieux.

QUAND PREND CORPS LE PROJET DE FAIRE SURGIR AINSI DES IDÉES NOUVELLES, DES ALLIANCES INEDITES DEVIENNENT POSSIBLES ET LE MONDE SE MET À BOUGER.

PROPOSITION

Un participant de l’Ecole disait très justement : « Dans le monde aujourd’hui, il n’y a pas de pays qui ne soit pas IMMIGRÉ ». C’est pourquoi nous avons le plus grand besoin d’hypothèses et d’idées nouvelles et positive sur cette situation qui est commune à tous les pays. Sans cela, ce sont les visions les plus sinistres, séparatrices, persécutrices et inégalitaires qui l’emportent.

Ainsi, après le projet de loi Macron/Collomb, tous les dispositifs de l’Etat imaginent pouvoir régler cette question, qui est cruciale pour notre présent et pour notre futur, par de nouveaux pouvoirs donnés aux dispositifs administratifs et policiers, qui, tels qu’ils sont, sont déjà totalement inadéquats à la situation réelle.

Les conséquences immédiates en sont de réduire encore le peu de marges juridiques dans lesquelles il est possible d’intervenir. Mais NOUS NE DEVONS PAS NOUS VOILER LA VÉRITÉ. Dans ce champ là, antérieurement même à ces derniers dispositifs législatifs, à peu près rien de sérieux n’est possible, tout étant organisé dans le CESEDA [Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et des Demandeurs d’Asile] contre les étrangers, et non pas en leur faveur.

NOUS DEVRIONS DONC CESSER DE PENSER A COURT TERME CE QUE NOUS AVONS À FAIRE ET CE QUE NOUS POUVONS FAIRE. NOUS DEVRIONS CESSER DE PENSER ET DE TRAVAILLER UNIQUEMENT DANS LE CADRE JURIDIQUE EXISTANT. NOUS DEVRIONS PLUTOT RÉUNIR NOS FORCES POUR INVENTER ET ENGAGER UN NOUVEAU TYPE DE TRAVAIL JURIDIQUE.

Actuellement le droit en France n’est pas animé par une quelconque idée de justice, au sens de ce qui travaille au bien des gens. Au contraire, le champ du droit est un champ où tout droit lié aux situations réelles de la vie des gens est aujourd’hui diminué ou détruit. Certains avocats sont pris dans cette corruption du droit, tandis que d’autres, travaillant chacun de leur côté, et dans le seul cadre juridique existant, sont face à la difficulté de défendre le dossier de leurs clients dans le cadre actuel d’un droit dominé par une vision inégalitaire et policière.

IL FAUDRAIT DONC COMMENCER PAR AFFIRMER UN PRINCIPE : LE DROIT DOIT PARTIR DE LA RÉALITÉ DE LA VIE DES GENS, alors qu’aujourd’hui les lois de l’Etat ne donnent aucun droit, ni aux gens pauvres, ni à ceux qui ont dû quitter des pays où il leur était devenu impossible de vivre.

Nous nous proposons, quant à nous, de partir de la conviction qu’il existe ce que nous appelons « DES LOIS DE LA VIE DES GENS », et que les lois de l’Etat doivent prendre en compte ces lois de la vie des gens.

POUR FORMULER CE QUE SONT CES LOIS, NOUS DEVRONS PARTIR D’UNE PENSÉE DES GENS EUX-MÉMES SUR LEURS VIES.

Impossible par exemple de comprendre vraiment ce que c’est que la « loi Dublin » sans entendre comment les préfectures, suivies des tribunaux, imputent aux gens d’avoir demandé l’asile en Italie ou en Espagne pour pouvoir ne pas prendre en compte leur demande d’accueil en France. Alors que les gens n’ont, de leur propre volonté, rien demandé de tel : ils ont simplement été « enregistrés », comptabilisés, au nombre de ceux qu’on considèrera comme des demandeurs d’asile et pour lesquels l’UE versera des subventions, en échange que l’Italie ou l’Espagne les gardent !

Nous travaillons à partir de quatre grandes hypothèses qui peuvent ouvrir à des propositions nouvelles dans le champ d’une formulation des droits des gens :

  1. PREMIÉRE HYPOTHÉSE : IL DEVRAIT EXISTER LA POSSIBILITÉ DE DÉCLARER SIMPLEMENT SA PRÉSENCE QUAND ON ARRIVE DANS UN PAYS 

Le système de l’asile est aujourd’hui (à échelle de l’Europe tout entière) un système qui non seulement ne fonctionne pas, mais qui est complètement corrompu. IL NE PEUT PAS FONCTIONNER POUR UNE RAISON SIMPLE : IL NE CORRESPOND PAS À LA SITUATION DE LA MAJORITÉ DES GENS QUI ARRIVENT EN EUROPE ET EN FRANCE. Ceux et celles qui arrivent ont besoin d’être accueillis et veulent pouvoir déclarer leur présence, leurs raisons d’être là, leurs capacités, leurs projets. OR AUJOURD’HUI LA SEULE ENTRÉE POSSIBLE DANS UNE LÉGALITÉ, C’EST DE DEMANDER L’ASILE. AUCUNE AUTRE PROPOSITION N’EXISTE.

La conséquence en est que des gens qui ont besoin d’être accueillis au titre de l’asile sont rejetés et renvoyés dans l’illégalité. Et que tous les autres n’ont pas d’autre issue que de demander l’asile, tout en sachant que cela ne correspond pas à leur situation réelle.

IL FAUT DONC OUVRIR D’AUTRES POSSIBILITES DE LEGALISATION DE L’ARRIVEE D’UNE PERSONNE QUE LE DEPOT D’UNE DEMANDE D’ASILE.

IL FAUT SOUTENIR QUE DOIT EXISTER UNE POSSIBILITÉ DE LÉGALISATION GÉNÉRALE DE LA PRÉSENCE DE TOUTE PERSONNE QUI ARRIVE ICI.

  • DEUXIÉME HYPOTHÉSE : IL FAUDRAIT RENDRE POSSIBLE LA DÉLIVRANCE SANS CONDITIONS DUNE AUTORISATION DE TRAVAILLER

Celles et ceux, de tous âges, qui se déplacent dans le monde entier aujourd’hui ne circulent pas avec des papiers, puisque les pays d’Europe limitent et refusent massivement les visas de séjour. Cela n’empêche pas les gens de partir, ni d’arriver, ni de rester. Ce qui doit être en revanche pris en compte, c’est leur volonté de travailler, de pouvoir vivre ainsi par eux-mêmes, sans dépendre des autres, sans se voir livrés à la tentation du trafic ou du vol.

A partir de là, une proposition possible est de séparer le travail et les papiers. Car, comme l’a dit un participant de l’Ecole : « Si on peut rester longtemps sans les papiers, on ne peut pas rester longtemps sans travailler. »

CE QUI DEVRAIT DONC EXISTER, C’EST LA DÉLIVRANCE D’UNE AUTORISATION DE CHERCHER LE TRAVAIL, QUI LÉGALISERAIT LA PRÉSENCE DE LA PERSONNE ICI, ET PERMETTRAIT À UN PATRON DE L’EMBAUCHER, SANS QUE CE SOIT, COMME AUJOURD’HUI, DANS LES CONDITIONS INJUSTES ET DANGEREUSES DU TRAVAIL AU NOIR.

C’est pourquoi nous proposons d’engager partout une campagne pour LA CRÉATION D’UNE AUTORISATION DE CHERCHER LE TRAVAIL, QUI PERMETTRAIT À TOUTE PERSONNE QUI ARRIVE ICI DE LÉGALISER SA PRÉSENCE.

3) TROISIÉME HYPOTHÉSE : LE TRAVAIL DEVRAIT ÉTRE AFFIRMÉ COMME UN DROIT ABSOLU POUR TOUS.

Nous voulons travailler d’abord à la question du droit au travail pour l’ensemble de la jeunesse. Il est absolument catastrophique que 25% de la jeunesse soit exclue du travail dans la plupart des pays européens. Nous voulons travailler à une déclaration et à un programme de mise en oeuvre d’un droit impératif de la jeunesse à travailler, à contribuer activement au destin des pays et de l’Union.

Cette position étend notre première enquête sur le droit des étrangers à travailler. C’est le droit de tous les jeunes qui est en jeu. Cela renverse, comme toujours quand l’Ecole avance bien, la pétition de principe qui consiste à dire: nous ne pouvons pas donner du travail aux jeunes migrants, quand c’est la jeunesse de notre pays elle-même qui n’a pas de travail. Cela la renverse vers cette autre déclaration : ce qu’il s’agit de mettre en oeuvre pour la jeunesse migrante est cela même qui doit réparer une situation gravissime pour toute la jeunesse.

4) QUATRIÉME HYPOTHÉSE : « POURQUOI EST-CE QUE TOUT EST TOUJOURS SI DIFFICILE À OBTENIR MEME QUAND ON A DROIT ? »

Nous avons découvert avec l’assemblée des femmes les multiples problèmes rencontrés face aux administrations (telles que la Sécurité Sociale, ou les Caisses d’Allocations familiales) qui doivent normalement veiller aux droits des gens, en cas de problème de maladie, d’accident, ou de chômage et d’absence de revenus.

NOTRE HYPOTHÉSE EST QUE LORSQUE LA RÉFÉRENCE AU TRAVAIL ET À CEUX ET CELLES QUI LE FONT EST DÉFAITE, LES GENS SONT TRAITÉS COMME DES QUÉMANDEURS, DES PAUVRES AUXQUELS ON FAIT, OU PLUTOT ON REFUSÉ, L’AUMONE.

Exemples / Accidents du travail et Sécurité sociale :

CAS DE BAH.

Bah. a eu un accident au travail le 19 février 2018. Au bout de 3 mois, elle a touché en tout et pour tout 190 euros en remboursement pour 15 jours d’arrêt de travail.

Le 5 avril 2018, Bah. raconte les circonstances de cet accident. Le matin, elle travaille de 6h à 8h. Ce jour là, les machines à laver la vaisselle sont gâtées, en panne. Le courant a sauté. Bah. appelle le patron, qui ne répond pas ; le chef lui dit que le patron est en vacances. B. passe prendre les poubelles ; dans l’escalier elle fait un faux pas et sa cheville est tordue.  Elle a très mal au pied, son pied gonfle. Elle va aux urgences directement, à l’hôpital de la Roseraie, en sortant du travail. Elle prend le métro ligne 8, puis à République le métro ligne 5 et à Gare de l’Est la ligne 7 jusqu’à Aubervilliers Pantin Quatre Chemins. Aux urgences on lui donne un arrêt de travail pour accident de travail, qu’elle envoie aux deux sociétés pour qui elle travaille. Elle repart avec 2 béquilles. Comme la douleur continue, on lui fait une radio et on lui prescrit 10 séances de kiné.

La CPAM a 30 jours pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident. Si la CPAM ne répond pas au bout de 30 jours, il est acquis que l’accident est un accident du travail.

DANS LE CAS DE BAH. ON DECOUVRE QU’EN FAIT LA CPAM ENVOIE UN QUESTIONNAIRE QUI MET EN DOUTE TOUT CE QUE LA PERSONNE A DEJA FAIT EN ENVOYANT SON ARRÉT DE TRAVAIL POUR ACCIDENT. ET IL Y A UN DÉLAI TRÉS COURT POUR RÉPONDRE À CE QUESTIONNAIRE.

SI LA PERSONNE NE RÉPOND PAS DANS CE DÉLAI, LE DOSSIER EST CLASSÉ SANS SUITE ET L’ACCIDENT NE SERA PAS CONSIDÉRÉ COMME UN ACCIDENT DU TRAVAIL. CONSÉQUENCES : la CPAM ne paiera pas les indemnités journalières dues en cas d’accident du travail, et le patron ne paiera pas non plus le complément.

CAS DE KH.

Un accident du travail – une entorse – entraîne un premier arrêt de travail du 22/02/18 au 28/02/18.  Cet arrêt est déclaré par le médecin comme un simple arrêt maladie.

Sa douleur au pied continue. Nouvel arrêt de travail du 28/2 au 24/03.

Kh. revoit encore le médecin : c’est une fracture, en fait, et elle doit rester plâtrée un mois entier.

Nouvel arrêt de travail d’un mois, du 24/03 au 20/04, puis encore deux mois, du 20/04 au 22/06/2018.

Quatre mois d’arrêt de travail, mais comme le premier arrêt n’a pas été déclaré en accident de travail, Kh. ne peut pas toucher les indemnités journalières prévues dans ce cas. Le médecin refuse de revenir sur sa première déclaration.

CAS DE A.M.

Elle travaille dans le ménage. Elle a eu un accident du travail, blessée au pied et au dos. Elle a 5 enfants mineurs. Son mari ne lui donne rien. Le mari gagne 1300 euros, le fils aîné 700 euros.

On lui refuse le RSA en raison des « revenus familiaux ». Le fils paie le loyer. Après son accident du travail, le patron dit qu’elle ne peut pas être « reclassée », il la licencie. Elle engage une procédure aux Prudhommes dont elle est déboutée : au motif que le patron n’a pas de poste pour elle.

Exemples / CAF et RSA :

N.S. travaillait jusqu’au début 2017 à l’hôtel IBIS, 4 jours par semaine à Roissy. Elle devait faire 34 chambres chaque jour pour 600 euros par mois. La société pour qui elle travaille transfère son dossier sans son accord et l’envoie travailler très loin. Elle refuse. La société la licencie. N.S. va à Pôle Emploi, qui demande à la société qui l’employait pourquoi elle l’a licenciée. N.S. découvre alors que sa nièce a fait une lettre pour elle dans laquelle, au lieu d’expliquer que NS refusait le poste trop éloigné, elle a écrit que celle-ci démissionnait ! NS n’a donc plus de recours contre son licenciement.

Elle demande à pouvoir toucher le RSA en attendant de retrouver un nouveau travail. Le RSA lui est refusé une première fois, sans explication. La deuxième fois, l’employé de la CAF lui dit qu’elle ne remplit pas les conditions de séjour. Or ces conditions sont 5 ans de séjour régulier et NS en est à sa 6ème année de séjour régulier.

Nous refaisons donc avec elle sa demande de RSA, en ligne. Ce qui est déjà toute une paperasse ! Celle-ci est validée. Mais au guichet, on lui redit qu’elle ne remplit pas les conditions, qu’il faut 10 ans de séjour régulier.

DJ. l’accompagne, et tient tête à l’employée sur les conditions exigées.

NS finit par obtenir le RSA – 272 euros ! - auquel elle a droit.

Mais IL A FALLU TOUTE UNE MOBILISATION AUTOUR D’ELLE POUR QUE SA DEMANDE ABOUTISSE, ALORS QU’ELLE DEMANDE UNE CHOSE A LAQUELLE ELLE A DROIT ET DONT ELLE A LE PLUS GRAND BESOIN. TOUTE SEULE, ELLE N’AURAIT RIEN OBTENU DE CE À QUOI ELLE A POURTANT DROIT.

Exemples / CAF et endettement des familles :

Amé. : la CAF lui réclame 9000 euros.

Jah. : la CAF lui réclame 6000 euros.

Sans explications. Et impossible de comprendre quels sont les barèmes appliqués et d’où vient la dette.

LE PLUS PROBABLE, C’EST QUE LA CAISSE A CONTINUÉ À VERSER DES ALLOCATIONS À LA FAMILLE POUR DES ENFANTS DÉJÀ MAJEURS.

Les gens sont censés déclarer eux-mêmes que tel ou tel enfant est devenu majeur. S’ils oublient de le faire, ils se retrouvent dans cette sorte de situation. Après quoi, la CAF ne leur verse plus aucune allocation pendant des mois, voire des années, jusqu’à ce que la dette soit épongée. Ce qui place ces familles dans des situations très difficiles.

Or la CAF dispose de toutes les informations concernant les enfants, leur date de naissance et donc leur âge.

POURQUOI N’EST-CE PAS LA CAISSE QUI AVERTIT LA FAMILLE QU’À COMPTER DE LA MAJORITÉ DE TEL OU TEL D’ENTRE EUX, LES ALLOCATIONS VERSÉES VONT BAISSER DE TANT, AU LIEU DE LAISSER S’ENDETTER DES FAMILLES DE CETTE MANIÉRE ?

EST-CE QUE CELA SE PASSE AINSI AFIN DE PERMETTRE D’ALIMENTER LE DISCOURS ET LES STATISTIQUES SUR LES « FRAUDES » AUX AIDES SOCIALES ?

Peu à peu, ce qui apparaît, c’est que la CAF, la sécurité sociale, toutes ces administrations ne donnent pas leurs droits aux gens qui ont des droits et qui en ont besoin. Pourquoi est-ce qu’elles ne sont pas au service des gens ? Est-ce que ce ne sont pas les gens les plus pauvres qui devraient bénéficier en priorité de ces droits ?

Pourquoi est-ce qu’ils accueillent mal les gens ? Pourquoi est-ce que tout est toujours si difficile à obtenir même quand on a droit ? Ce n’est pas bien.

EST-CE QUE CE SONT LES GENS QUI SONT DES « FRAUDEURS » OU EST-CE QUE CES ADMINISTRATIONS FRAUDERAIENT LES DROITS DES GENS ?

Il faut, dans tous les cas, poursuivre cette première enquête qui révèle de graves défaillances de la part de services qui devraient, encore une fois, apporter un appui aux gens les plus démunis, et non pas les enfoncer dans les difficultés.

Les propositions que nous faisons ici engagent évidemment un long chemin, qui passera non seulement par des paroles publiques, mais aussi par des batailles éventuelles qui seront menées dans les tribunaux, parfois autour de questions en apparence petites, mais grandes dans leurs conséquences.

Si nous constituons un groupe de travail sur ces questions, nous devrions pouvoir avancer dans cette direction.

IL NE S’AGIT PAS DE SE LIMITER AU CADRE EXISTANT DU DROIT ET DES LOIS, MAIS DE RÉFLÉCHIR COMMENT ON POURRAIT FAIRE PÉNÉTRER DANS LE DROIT LUI-MÉME DES QUESTIONS ET EXIGENCES NOUVELLES RÉFLÉCHIES A PARTIR D’AUTRES LOIS QUI SONT CELLES DE LA VIE DES GENS.

Rappelons que c’est toujours ainsi que le droit a progressé. De l’extérieur de lui-même, en référence aux questions nouvelles issues de la vie ou du travail, portées par des batailles ou des mouvements. Sa régression actuelle vient d’une abdication générale sur des affirmations fortes concernant les lois réelles de la vie des gens.

PARTIE 4 (I)

COMMENT TRAVAILLER À L’ALLIANCE

ENTRE LES JEUNESSES ?

Travailler sur la question des jeunesses, surmonter leur séparation, c’est un choix, et une décision, qui se sont imposés à nous dès les attentats de novembre 2015, au moment où nous discutions du projet de l’Ecole des Actes. Un choix confirmé par la suite par la volonté, déclarée dans l’Ecole par la jeunesse qui y arrive, de nouer des rapports d’amitié avec la jeunesse d’ici. Et l’urgence que de tels liens existent, pour le bien de tous.

SÉRÉNITÉ, INTÉGRITÉ, ÉGALITÉ :

Nous avons confiance dans le fait que les idées que nous travaillons à formuler s’amplifieront, seront reconnues, adoptées – même si pour l’instant elles sont concentrées en un lieu. Avec l’Ecole, nous faisons chaque jour l’expérience que l’humanité n’est pas une abstraction, mais un désir profond. Non pas l’humanité au sens humanitariste, mais l’humanité en tant que réel « sous conditions » : c’est-à-dire la présence égale et la mise au travail, en vue d’un bien commun, de gens qu’au départ tout sépare (histoire, âge, métier, nationalité, sexe, vie, connaissances etc.).

La fermeté de pensée, comme le maintien du principe de l’égalité, ne peuvent pas être le fruit de qualités personnelles. Fermeté de pensée et égalité doivent pouvoir être durablement pratiquées et instituées au fur et à mesure que se clarifieront les principes qui les fondent. D’ores et déjà, il apparaît que quelqu’un qui travaille dans une classe d’école primaire en s’inspirant de ce que nous faisons dans l’école trouve le chemin d’une nouvelle manière d’enseigner. Il y a donc matière à creuser ces questions pour que puissent exister, non pas forcément d’autres « Ecoles des Actes » - car toute création véritable est une singularité non reproductible telle quelle -, mais des lieux où un travail semblable s’effectue.

L’égalité en capacité et dignité n’est pas une égalité stable ; son principe doit être stable ; mais le réel de l’égalité, c’est une infinité de moments où se transforme la question de savoir qui est le maître de l’autre ou des autres. Ce n’est donc pas qu’il ne faille pas de maître, c’est qu’il faut que chacun apprenne à discerner qui est, dans telle ou telle circonstance, le juste maître. Ainsi, l’on n’apprend pas tant à se passer de maîtres, qu’à ne pas se tromper de maîtres. L’échec des visions anarchistes de l’égalité relève d’une trop grande rigidité : celui qui veut vivre « sans dieu ni maître » devient la proie de fantômes sans pitié.

Les deux textes qui suivent n’ont pas été prononcés dans le cadre de l’Ecole des Actes, ils proviennent de jeunes mineurs récemment arrivés seuls en France. Ils recoupent des discussions qui ont eu lieu dans nos Assemblées, et nous sommes profondément d’accord avec leurs contenus, c’est pourquoi nous les publions ici, en précisant leurs sources, et nous remercions vivement leurs auteurs du courage que nous donnent leurs paroles. Par ailleurs, nous avons pu faire connaissance avec l’un d’entre eux et l’inviter à l’une de nos assemblées publiques.

I. CRITIQUE DU MOT « MIGRANT » :

La déclaration qui suit est celle d’un « jeune mineur étranger isolé » et elle est parue sur MEDIAPART LE CLUB  Blog Jujie à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 2018 :

Ce sont des extraits du récit de B., mineur isolé arrivé à Paris, publié dans « Lettres Communes » N°2

6 NOVEMBRE 2018

« LE MOT « MIGRANT », MOI JE ME DIS QUE CE SONT DES MOTS QUI ONT ÉTÉ CRÉÉS JUSTE POUR BLESSER LES PERSONNES QUI COMPRENNENT LE VRAI SENS DU MOT. Sinon, les mots qui existaient pourquoi ne pas les utiliser, en disant « les étrangers » ? Parce que nous, dans notre pays, quand tu es français, on ne dit pas « un migrant ». En tout cas, il n'est plus dans son pays. Il est dans un pays étranger. Mais nous, on dit « Il est français ». Juste pour faire la différence avec les Guinéens. On dit « Lui, il est Européen. Il est français, il est anglais, il est espagnol ». On l'appelle par sa patrie. On ne dit pas qu'il est « EXPATRIÉ». On ne dit pas qu'il est « MIGRANT ». On ne dit pas qu'il est « réfugié ». Même si tu es un réfugié politique, parce que dans les années reculées il y eu des guerres, dans la sous-région de l'Afrique de l'Ouest. Toutes les personnes de ces pays sont venues se réfugier en Guinée, mais on ne les a pas dites « réfugiées ». Ce sont des mots qui sont employés par certaines personnes, mais la majeure partie des gens n'emploient pas. C’est à dire, on dit « Ce sont des Léonais », ou « Ce sont des Libériens » tout court. On n'a pas besoin de dire que ce sont des « réfugiés », ou des « migrants ».

EN CE MOMENT, MOI JE ME DIS QUE LE MOT « MIGRANT », C’EST JUSTE POUR NOUS LES AFRICAINS, PARCE QUE LE MOT « MIGRANT », C’EST QUAND LES GENS ONT COMMENCÉ À VENIR PAR LA MER MÉDITERRANÉE, DE L’AFRIQUE POUR L’EUROPE ».

« Moi, je ne me considère pas trop en tant que « migrant ». Toutes les personnes qui disent « migrants », c'est parce qu'ils ne comprennent pas bien le sens propre du mot. C'est à dire, MOI JE ME DIS QUE « MIGRANT », C’EST POUR LES ANIMAUX. C’EST LES ANIMAUX QUI MIGRENT. C'est l'observation. On dit « La migration des animaux a conduit à ceci, ou à cela ». Moi je me dis, le mot « migrant » ne devrait pas être attribué aux gens qui ont fui leur pays pour ne pas être maltraités. Il y a ces personnes aussi qui ont pu fuir leur pays parce que ça n'allait pas, le problème économique. On peut les qualifier de « réfugiés ». Mais, même le mot « réfugié », moi je ne trouve pas qu'il a une place pour un être humain. »

« J’aimerais dire aux personnes qui se considèrent comme « migrants », ils n'ont qu'à se dire que ce sont des étrangers. Avec le mot là, je suis d'accord, parce que ce n'est pas ta patrie. Oui, tu es étranger. Quand tu es étranger, tu es étranger. MAIS QUELLE QUE SOIT TA NATURE, IL NE FAUT PAS ACCEPTER QU'ON TE TRAITE DE « MIGRANT ». LE MOT « MIGRANT », C’EST JUSTE POUR ENFLAMMER LE CŒUR DES GENS. C’EST JUSTE POUR LES MÉPRISER. C’EST TOUT. ON N’A JAMAIS DIT À UN BLANC « MIGRANT ». Jamais de la vie ! C'est à dire, normalement, le mot « migrant », ça ne devrait pas exister aujourd'hui. Le mot « migrant », c'est juste pour les blacks qui quittent l'Afrique pour se rendre en Europe. »

« La deuxième des choses, j'aimerais réussir et chercher le moyen de devenir une personne pour m'exprimer. C'est à dire, ce que je veux, parler pour les personnes qui ne peuvent pas s'exprimer. M'exprimer pour qu'on m'entende, pour qu'ils sachent que nous sommes tous égaux. QUELLE QUE SOIT LA NATURE DE L’ÉTRE HUMAIN, NOUS SOMMES TOUS ÉGAUX. QUELLE QUE SOIT TA RELIGION, NOUS SOMMES TOUS ÉGAUX. J'aimerais réussir comme tous les autres, parce que j'ai des grands rêves. J'ai des grands projets. Ça, c'est dans l'avenir. J'aimerais étudier, faire la médecine, le football, faire la boxe, tout, tout ! J'aimerais chercher un domaine où je peux m'exprimer bien. Pareil faire la boxe. C'est à dire, la boxe n'était pas juste pour Mohammed Ali. Un sport, c'est un art de s'exprimer. C'est à dire, s'exprimer à travers ça. J’AIMERAIS ÉTRE UNE GRANDE PERSONNALITÉ POUR ÉTRE AU SERVICE DES AUTRES. »

Ce qui est remarquable dans ce texte, c’est sa précision : « étranger » est un mot possible pour désigner les personnes qui arrivent parce qu’il renvoie strictement au statut juridique ‘national’ ou ‘étranger’. Le nommer par le nom de son pays est acceptable aussi, parce que c’est un signe de respect du pays d’où il vient.

« Migrants » au contraire est un mot de l’Etat et personne ne sait ou ne cherche à connaître qui ce mot recouvre, c’est un mot qui nomme un faux collectif,  qui autorise l’ignorance à l’égard des personnes et de leurs vies singulières.

De notre côté, nous n’avons pas de nom global à opposer à celui de « migrants », justement parce qu’il n’y a pas un nom unique possible : les personnes qui arrivent, il faut qu’elles puissent simplement partager les noms communs d’ici, les honorer, et les enrichir de leurs propres ressources et nouveautés.

Dans les années 90/2000, il y avait une parole dans les manifestations d’ouvriers sans papiers, qui disait : « On est ici, on est d’ici », et encore : « Un pays c’est tous ceux qui y vivent ».

Cette idée qu’il faut compter tout le monde, quels que soient l’origine nationale, sociale, l’âge, le sexe, le métier, la religion…, il faut trouver comment la faire vivre dans les conditions d’aujourd’hui.

S’il est urgent d’abandonner ce mot infâme de « migrants », c’est parce qu’il empêche tout le monde de se rapporter aux grandes ressources qu’apportent avec elles ces personnes toutes singulières, au terme de trajectoires souvent stupéfiantes de courage.

Il nous empêche de faire droit à la magnifique déclaration de ce tout jeune homme : ‘j’aimerais être une grande personnalité pour être au service des autres’.

II. ON NOUS PREND AUJOURD’HUI COMME LES ENFANTS LES PLUS FAIBLES

DU MONDE,

ALORS QUE C’EST FAUX :

NOUS SOMMES LES ENFANTS LES PLUS FORTS DU MONDE ENTIER.

Il s’agit cette fois de la retranscription par nos soins du discours public d’un « jeune mineur isolé » lors d’une journée de mobilisation de RESF 63.

(Le document est issu du Facebook Denco Stailey du 25 novembre 2018)

« LES MOTS ME MANQUENT… On s’était dit au squat que chacun d’entre nous est l’ambassadeur de tout le monde parmi nous et aujourd’hui tout le monde a besoin de la vérité.

On a la même maladie, on veut les mêmes remèdes donc on a les mêmes problèmes. Qu’est-ce qu’on attend ? On veut toujours encore, tout le monde veut trouver la même chose pour nos problèmes.

Notre problème c’est quoi ? C’est parce qu’on dort que dans les squats ici. On n’est pas venus ici pour dormir dans les squats. On est quittés dans notre pays d’origine pour venir ici. C’est pas parce que y a toute chose qu’il nous faut chez nous, c’est parce que ça ne va pas là-bas qu’on est venus ici.

Alors aujourd’hui on nous retrouve où ? On se retrouve dans les rues, dans les squats ou sous les berges, ça fait mal. C’est une déception. C’est une honte pour nous.

Moi, je me demande aujourd’hui : On est venus ici pour dormir dans les squats ? Ou on est venus ici pour faire une formation, pour avoir une éducation ?

ON NOUS PREND AUJOURD’HUI COMME LES ENFANTS LES PLUS FAIBLES DU MONDE, ALORS QUE C’EST FAUX : NOUS SOMMES LES ENFANTS LES PLUS FORTS DU MONDE ENTIER.

Foule

C’est ça, c’est la vérité. On est venus ici aujourd’hui faire la manifestation avec tous les français, tous ceux qui ont les papiers. Y a quelle différence entre vous et nous, les sans papiers et les mineurs isolés ? Aucune. On vit tous du même oxygène, on respire tous ensemble, et un jour viendra tout le monde va mourir. On va quitter dans ce monde.

Foule

ON DOIT VIVRE NORMALEMENT, ON EST DES ÉTRES HUMAINS COMME TOUS LES AUTRES AUSSI. ON A DROIT DE VIVRE NORMALEMENT ET DE MOURIR NATURELLEMENT.

POURQUOI RENDRE NOTRE VIE SI DIFFICILE ? Pourquoi on veut pas nous aider ? C’est un droit.

La prise en charge, c’est un devoir, on est en France ici, c’est une terre des droits de l’homme.

Mais pour nous, y a pas de droit pour nous. Il n’y a que des devoirs si tu es étranger en France ici.

Si tu es mineur ici, tu es un menteur, alors que c’est faux, nous ne sommes pas des menteurs, nous disons la vérité. La vérité que nous racontons à l’asile quand on vient, qu’ils nous demandent de leur raconter une histoire. N’importe quelle, ils s’en foutent après, ce qu’on leur raconte. Ils ont quoi comme témoins ? Rien.

Ils nous traitent de menteur et après ils nous humilient encore : ILS NOUS ABANDONNENT DE DORMIR DANS LES RUES ET PUIS RESTER SANS MANGER, ÇA FAIT MAL.

Quand on était dans notre pays là-bas, on mourait pas de faim, mais ON MOURAIT DU MANQUE DE PAIX.

ON EST VENUS ICI POUR CHERCHER LA PAIX, ET DE L’ÉDUCATION ENCORE.

Parce qu’il y a pas d’éducation chez nous, c’est pourquoi nous sommes venus ici.

C’est parce que nos leaders sont tous devenus des personnes de mafias qui nous mettent dans les mêmes trous, et après ils referment encore le reste dedans.

Foule

NOUS SOMMES DES MINEURS, ON RÉCLAME NOTRE DROIT ENCORE. ON A DROIT DE VIVRE TRANQUILLES. ON VEUT VIVRE TRANQUILLEMENT.

ON VEUT TOUS ALLER À L’ÉCOLE, ON VEUT TOUS AVOIR UNE FORMATION POUR NE PAS ÉTRE UN DÉLINQUANT DEMAIN.

Si nous ne sommes pas formés aujourd’hui, demain, pour vivre, on est obligé d’être un délinquant.

Et après, on va mourir dans les prisons, chez nous ici. 

C’EST PAS BIEN, ÇA !

IL FAUT QUE VOUS NOUS AIDIEZ POUR QUE NOUS SOYONS FORMÉS AUJOURD’HUI. POUR UN FUTUR. On est tous des personnes qui ont une vraie expérience dans sa tête ici. On a traversé des choses qui sont terribles sur la route pour venir ici. Quand on est venus ici, on nous accueille pas pour nous donner la liberté. C’est pour nous accueillir dans la peur.

CHAQUE JOUR ON EST OBLIGÉS DE VIVRE DANS LA PEUR ICI : C’EST ILLÉGAL.

C’EST PAS NOUS QUI SOMMES ILLÉGAL, CE SONT LES LOIS OPPOSÉES SUR NOUS QUI SONT ILLÉGALES.

Foule

C’est illégal. Il faut que vous nous aidiez à nous régulariser.

LES PAPIERS NE COUTENT PAS PLUS CHER QUE NOUS.

NOUS COUTONS PLUS CHER QUE LES PAPIERS.

Les papiers, ce sont les êtres humains qui font les papiers.

NOUS, QUI NOUS FAIT ? C’EST L’HUMANITÉ QUI NOUS FAIT. ON DOIT VIVRE DANS CETTE HUMANITÉ TRANQUILLES ET MOURIR NATURELLEMENT. C’EST ÇA QUE J’AI À DIRE.

Et moi je suis très content encore de tout le monde, mais surtout je suis très content de mes amis qui sont au squat.

Nous qui nous combattons pour notre droit, nous sommes les meilleurs combattants. On a toujours combattu pour notre droit.

Foule

C’est ça, on doit continuer à combattre pour ça, quoi. Et on attend que rien :

ON VEUT RIEN DE PLUS QUE LA SCOLARISATION, LA PRISE EN CHARGE, ET L’ACCOMPAGNEMENT, ET L’HÉBERGEMENT. C’EST TOUT CE QUE NOUS DEMANDONS.

C’EST PAS TROP DIFFICILE !

ON DEMANDE PAS DES MILLIONS ! ON DEMANDE PAS DES MILLIONS !

ON EST VENUS POUR NOUS FORMER, POUR AVOIR UNE ÉDUCATION, ET UNE PROTECTION. C’EST ÇA QUE NOUS DEMANDONS.

On a droit à la protection. Pour nous donner la protection, c’est un devoir à ceux qui la détiennent. Parce que c’est un droit à nous. Donc, on attend notre protection.

C’est une obligation, parce que c’est une loi votée.

ET ENCORE IL Y A QUELQUE CHOSE QUE JE TENAIS À DIRE DEPUIS TRÉS, TRÉS, LONGTEMPS.

JE VAIS LE DIRE AUJOURD’HUI ICI. IL Y A UNE LOI QUI EST VOTEE DANS CE MONDE, JE VOUS JURE QUE C’EST UNE LOI RACISTE. C’EST QUOI CETTE LOI ? C’EST DE RAPATRIER QUELQU’UN QUI EST ENTRÉ SUR UNE TERRE ILLÉGALEMENT.

CETTE LOI EST ILLÉGALE, CETTE LOI EST RACISTE.

JE VOUS JURE QU’ELLE N’EST PAS NORMALE.

Quand quelqu’un vient encore, les lois qui sont votées pour l’abandonner qu’il dorme au dehors, je vous jure : c’est une loi illégale. C’est pas nous qui sommes illégal.

Foule

Regardez comment nous sommes beaux.

Regardez comment nous sommes très, très, actifs dans la vie.

Imaginez : on a traversé la Méditerranée. Vous pensez que sur la Méditerranée on n’a pas peur ? Mais on avait peur de traverser.

MAIS ON A PEUR DE SE RETOURNER DANS NOTRE PAYS.

ON S’EST SACRIFIÉS. ON A SACRIFIÉ NOTRE ÀME POUR VENIR ICI.

Et encore, quand on vient, on nous demande pourquoi on n’est pas restés en Italie ou en Espagne. Cette question c’est très facile à répondre. Pour la répondre, il faut se demander : avant 50 ans, il y avait des Espagnols chez nous pour nous coloniser ? On n’entendait pas la langue espagnole. On n’entend pas la langue Italienne.

Donc, quand on rentre en Italie ou en Espagne, on va attendre quoi là-bas, avant de venir en France ?

ON EST CHEZ NOUS, ON EST CHEZ NOUS, ON EST CHEZ NOUS ! ON VA TOUS RESTER ÉTERNELLEMENT EN FRANCE ICI.

QUAND ON A UN PASSEPORT FRANÇAIS, ON EST DES FRANÇAIS, QUAND ON N’A PAS DE PASSEPORT FRANÇAIS, ON EST DES FRANÇAIS.

Foule : on n’a pas de papier, nous sommes des français.

ON EST CHEZ NOUS, ON N’EST PAS « EN DANGER », ON EST CHEZ NOUS !  ON SAIT POURQUOI ! »

 Il convient de préciser que la loi et le droit auxquels font allusion cette déclaration sont bien réels : tout mineur sans famille – quelle que soit sa nationalité - doit être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, qui doit lui trouver un hébergement et assurer sa scolarisation et sa formation.

Ce placement à l’ASE est précédé d’un jugement du Tribunal pour l’Enfance qui statue sur leur minorité et fixe les modalités du placement.

Dans la pratique, cela se heurte à une grande mauvaise volonté de beaucoup de ces services de l’ASE, qui essaient par tous les moyens de remettre en doute la minorité des jeunes arrivants, la validité de leurs documents d’état civil, afin de ne pas avoir à les prendre en charge ; qui les logent à grands frais (45 euros par nuit) dans des hôtels sordides où l’hygiène des lieux et une nourriture correcte leur est à peine assurée ; qui ne cherchent pas toujours non plus, surtout dans le cas de jeunes qui n’ont jamais été scolarisés dans leur pays, à leur trouver des lieux de scolarisation et de formation.

Il faut dire à la décharge de ces services que l’Etat ne fait rien non plus pour être à la hauteur de ce dont ces enfants, terriblement isolés, ont besoin en matière de prise en charge.

C’est là pour ces enfants une situation très violente, à la limite du supportable, beaucoup d’entre eux sont déjà malades de leur voyage, de ce qu’ils y ont connu. Ce n’est pas un hasard si c’est ce jeune homme, encore un enfant, qui énonce clairement que le voyage que font ceux et celles qui arrivent n’est pas un voyage qu’on peut faire « dans les deux sens » : c’est un voyage qui n’a pas de retour possible, c’est pourquoi expulsion et rapatriement doivent être désignés comme des mesures « illégales ».

Le courage de ces enfants leur a permis d’affronter les dangers extrêmes de leur périple jusqu’ici, et cette ressource extraordinaire se voit bafouée par le traitement qui leur est réservé à leur arrivée ici. Beaucoup sont en butte à des humiliations de toutes sortes, comme le déni de leur minorité ou de la validité de leurs pièces d’état-civil. Ils se retrouvent alors abandonnés à eux-mêmes, errants, menacés de rapatriement forcé.

ILS ONT BESOIN DE TOUTE NOTRE ATTENTION, DE TOUTE NOTRE AMITIÉ ET PROTECTION.

Les paroles si justes de ce jeune homme - que nous avons écoutées lors de notre assemblée publique de décembre 2018 - nous ont inspirées pour orienter notre volonté de travailler à l’alliance des jeunesses.

EN EFFET, ON DÉCOUVRE EN LÉCOUTANT QUE CE DONT IL PARLE CONSTITUE UN IMMENSE PROBLÉME DENSEMBLE POUR LA JEUNESSE CONTEMPORAINE : l’absence de formation digne de ce nom, la difficulté à trouver de quoi vivre et se loger – responsable tout récemment de l’immolation par le feu d’un jeune étudiant à Lyon – et pour tous (y compris celles et ceux qui ont pu bénéficier d’une formation véritable), l’absence d’un travail désirable et possible qui fasse honneur au fait de travailler et qui ait un sens.

EN RÉSUMÉ, LE MANQUE CRUEL DE TOUT CE QUI PERMET DE SE CONSTRUIRE UNE VRAIE VIE.

PARTIE 4 (II)

COMMENT TRAVAILLER À L’ALLIANCE

ENTRE LES JEUNESSES ?

AMITIÉ

Nous travaillons en toute amitié dans toutes les activités de l’Ecole. Les gens qui y arrivent disent qu’ils s’y sentent immédiatement accueillis – c’est un accueil qui n’est pas le fait de telle ou telle personne, mais une sorte d’émanation collective de l’Ecole dont chacun partage peu à peu à la fois l’esprit et ce qui s’y joue. L’amitié, là, est le contraire de « l’aide ». Car ce qu’on peut appeler « amitié », c’est la conviction que nous sommes là ensemble à essayer de réfléchir comment on peut porter une dure situation que nous avons à prendre ensemble sur nos épaules – ceux et celles qui vivent déjà là et ceux et celles qui arrivent. L’amitié est à la fois la condition et le résultat de ce partage inédit. Ensuite, à l’intérieur de cela, il y a bien sûr des liens plus particuliers et très forts qui se nouent, de toutes sortes. Cela rayonne.

NOTES ISSUES DES RÉUNIONS DE PRÉPARATION DE L’ASSEMBLÉE PUBLIQUE

DU 23 MARS 2019

Le but, c’est que les « ouechs » et les « blédards » se rencontrent, se connaissent et travaillent ensemble. Ceux qui arrivent ici n’ont rien, et aucun droit d’étudier, de se former, de travailler, c’est très dur, très difficile.

Les jeunes des quartiers pauvres ont la police sur le dos dès leur enfance, et l’école aussi, qui leur dit qu’ils ne seront pas capables d’avoir un bon métier.

Ces deux jeunesses ont les mêmes problèmes mais elles sont séparées, leurs problèmes ne peuvent pas avancer, et leurs projets sont irréalisables tant qu’elles resteront séparées. Il faut qu’elles se connaissent par delà les noms dont elles s’affublent réciproquement.

Au terme de toutes nos discussions de l’année 2019, il nous est apparu qu’il fallait tenter DE CONSTRUIRE UN OU PLUSIEURS PROJETS PRATIQUES QUI PUISSENT LEUR ÉTRE COMMUN.

La première idée, en cours de réalisation, est celle de TRAVAILLER ENSEMBLE À LENREGISTREMENT DE PODCASTS QUI FERONT ENTENDRE DES VOIX QUON NA PAS LHABITUDE DENTENDRE PARLANT DE CE QU’ELLES VOUDRONT FAIRE ENTENDRE. Comme première base possible d’un dialogue. La matière ne manque pas, comme le montrent déjà les déclarations qui suivent.

LA DIFFICULTÉ DE VIVRE EST DES DEUX COTÉS

« Actuellement si plein de jeunes viennent en Europe, c’est que les parents font les champs, ils cultivent, ils n’ont pas connu d’autre métier. AVEC LA SÉCHERESSE (PLUS DE PLUIE ET PLUS D’EAU), ON NE PEUT PLUS CULTIVER LES CHAMPS : LA JEUNESSE SORT BEAUCOUP D’AFRIQUE À CAUSE DE ÇA. Beaucoup ont le problème de l’eau pour cultiver les champs. Ils cherchent une meilleure vie ailleurs. Avant, il pleuvait beaucoup, la terre donne beaucoup : tu peux réserver pour l’année, mettre de la nourriture de côté, prendre soin de ta maison et garder un peu d’argent. Maintenant il ne pleut pas. Même pour gagner la nourriture pour l’année complète cela fait problème. C’est pourquoi la jeunesse quitte beaucoup maintenant ».

« Même celui qui trouve un autre travail que les champs, un travail avec un salaire, il ne gagne pas, parce que le patron te paie ce qu’il veut. Ce n’est pas un vrai salaire. Pour toute la journée, tu vas gagner à peine 10 euros. Il n’y a pas de mutuelle, pas d’assurance. Même si ton travail est déclaré, en cas d’accident tu n’es pas pris en charge. Le patron peut acheter tout : le juge, le témoin. Comment tu fais, si tu as un doigt coupé ? »

« Les gouvernements devraient privilégier l’éducation. BEAUCOUP NE SONT PAS SCOLARISÉS CHEZ NOUS. MAIS MÉME CEUX QUI VONT A L’ÉCOLE N’ONT PAS DE DÉBOUCHÉS. Si tu n’as personne haut placé, tu ne peux pas travailler après tes études : il y a trop de corruption. Si tu n’as pas de relations, tu ne trouves pas de poste. Pour les jeunes qui se débrouillent en mécanique et dans les petits métiers, le gouvernement ne décide rien et la police les empêche de travailler. Chez nous, c’est difficile d’aller à l’école et aussi de faire quelque chose après l’école. On ne peut pas rejeter la faute sur les Blancs. Nos gouvernements sont de pair avec l’Europe. Ils se font passer pour des panafricains, mais c’est une imposture. C’est pourquoi les gens partent de chez eux. Ici, quand on arrive, c’est encore tout un tas de problèmes… »

« Quand les parents n’ont rien, tu ne peux rien faire : l’enfant ne va pas pouvoir travailler. Tu peux avoir ton bac, mais tu vas être aide-maçon. »

« Moi, mon père cultivait, il avait un jardin. Mon père m’a expliqué la situation ici, en France, combien c’est dur, mais je suis venu quand même. Ici, j’ai vu même plus, même pire, que ce que mon père avait dit. LA DIFFICULTÉ DE VIVRE EST DES DEUX COTÉS : AU PAYS, JE CONNAIS ; MAIS ICI AUSSI C’EST DIFFICILE. C’est difficile de construire un projet là-bas parce qu’il y a le problème de l’eau. En plus, au pays, tu n’apprends pas de métier. La difficulté ici, c’est la même : trouver une formation, apprendre un métier, c’est difficile. Mais ici il y a sécurité. »

CELUI QUI PART POUR CHERCHER DE L’AIDE AILLEURS, IL EST D’ABORD COMPLÉTEMENT SEUL

« Je suis né en 1987. En 2008 je suis avec mon père, commerçant. Il a une boutique à Bamako. Il y a le feu à la boutique. Deux frères et mon père sont morts dans l’incendie. En 2016, au village, mon grand frère a voulu tuer mon petit frère comme s’il l’avait volé. C’est comme si je n’ai plus de famille du tout. Je suis très perturbé par rapport à ce qui s’est passé. Je suis parti en Algérie. J’ai été refoulé dans le Sahara. Trois fois. Je suis passé par la Lybie, puis le bateau. J’ai 31 ans maintenant. J’ai demandé l’asile en Italie. Je parle malinké, personne ne parle malinké en Italie, je ne savais pas ce que c’était, la demande d’asile. Ils m’ont donné la carte d’identité humanitaire. J’ai fait 7 mois en Italie puis je suis venu ici en France en janvier 2019. Ma femme a accouché au Mali d’une petite fille, juste avant mon départ. Je suis très mal : j’ai juste vu une photo de mon enfant. Je ne dors plus du tout d’être ici et eux là-bas. CELUI QUI PART POUR CHERCHER DE L’AIDE AILLEURS, IL EST D’ABORD COMPLÉTEMENT SEUL. »

 « Le gouvernement est responsable de ce qui se passe. Partout, les gouvernements sont comme ça. Mais il faut séparer ce que fait le gouvernement et ce que font et décident les gens eux-mêmes. Il faut changer tout ce système. »

 « VU LA SITUATION À LAQUELLE ON FAIT FACE AUJOURD’HUI, IL FAUT SE CREUSER LE CERVEAU, PAR RAPPORT AUX CHOSES DÉSASTREUSES QU’ON VIT. Quand tu es dépassé par la situation, tu n’as plus les mots, mais tu le ressens. Je parle pour moi : quand ça t’arrive, tu te dis que tu es seule au monde. Quand je vois comment m’ont traitée mes frères ici… Quand je demandais de l’aide, on me demandait quelque chose en retour ! Alors que ce qu’on m’a appris, c’est « Accueille, sans rien demander en retour ». Il faut se donner la main d’abord. LA VÉRITÉ, C’EST DUR À DIRE : IL N’Y A PLUS D’HUMANITÉ DANS NOTRE CŒUR. Quand la situation te dépasse, il faut que nous-mêmes on s’interroge. J’ai encore ma peine en moi, je n’ai même pas envie d’en parler à quelqu’un, tu vis avec, tu ne peux jamais oublier. Quand tu penses que c’est tes proches qui ne t’ont pas aidée, c’est encore plus dur. Je n’ai pas les mots pour ça. Tu ne vas plus les approcher. Ce sont des choses qui ébranlent notre humanité.

Chez moi, on partait tous aux champs, on travaillait avec notre mère : c’est la réalité de l’Afrique. Le foyer, c’est la femme qui le tient à bout de bras. La femme vit les situations. La vie de l’Afrique et ici, ce n’est pas pareil. Un enfant d’ici, il n’a jamais vu ce que moi j’ai vécu. Enfant, j’étais difficile à vivre, je n’aimais pas qu’on me frappe. L’éducation, ça commence dès le bas âge. L’excision, ça fait partie de la vie de toutes les femmes. Le Monsieur qui te marie va exiger qu’on le fasse. Si tu refuses, un jour tu vas t’enfuir. C’est la coutume, les parents t’obligent, tu peux dire quoi ? C’est un problème familial entre toi et ta famille. Donc QUITTER LA FAMILLE, LA SEULE SOLUTION, DANS CE CAS, C’EST ÇA. »

« L’excision en Côte d’Ivoire c’est une violence tous les jours surtout contre les jeunes filles non scolarisées. Il y a des lois contre, mais elles ne sont pas respectées, ni au Nord ni à l’Ouest. La jeune fille qui se rebelle, aucune loi ne la protège vraiment. Sa rébellion l’oblige à partir, elle est bannie de la famille, et pour elle c’est l’exil, c’est obligé qu’elle parte. »

 « Il y a aussi le cas du mariage forcé. TU ES OBLIGÉ DE VENIR ICI POUR TE LIBÉRER, AU PAYS LES FEMMES NE PEUVENT PAS ÉCHAPPER. Après, tes enfants sont restés au pays, tu ne peux pas les emmener avec toi dans le voyage, comment tu fais pour les faire venir ? »

« En Afrique jusque là le grand frère c’est le grand frère. Il faudrait pouvoir discuter avec les anciens et les raisonner. Il faudrait pouvoir changer les choses et pouvoir discuter. »

AVEC NOTRE EXPÉRIENCE ON PEUT GRANDIR ENSEMBLE DANS NOS VIES,

AVEC LES JEUNES NÉS ICI, LES AIDER À S’ORIENTER DANS LA VIE

« Les jeunes ici ont trop d’opportunités devant eux. J’ai un petit frère né ici, il ne garde pas un travail deux mois. Je lui ai expliqué comment j’ai fait pour garder mon boulot : « Ce que tu refuses, moi j’accepte. JE FAIS POUSSER DES RACINES ». Maintenant mon petit frère est devenu chef de son équipe. Le travail ici, c’est par le bouche-à-oreille. Je commence, je n’ai rien au départ. Mais avec notre expérience on peut grandir ensemble dans nos vies, avec les jeunes nés ici. Les orienter dans la vie. Par exemple, tu commences par ramasser les cartons et tu les vends : 115 euros pour une tonne. Après, on peut s’asseoir en famille, on sait qui est qui : une fois par mois il faudrait pouvoir s’asseoir et parler avec les jeunes. 

Aujourd’hui, entre eux et nous, c’est comme le pauvre et le riche. Nous, on accepte de travailler même avec de petits salaires, parce qu’il s’agit de faire vivre la famille au pays. Eux, ici, ils veulent gros dès le départ. »

« Les jeunes nés ici n’habitent pas le foyer : comment tu peux parler avec eux ? Quand tu es dans un foyer malien, tu n’as pas accès à ces jeunes. Les doyens mettent un mur entre nous et les jeunes nés ici. Ils disent de nous aux autres : « C’est un aventurier » ; et ils te découragent de leur parler en disant que ces jeunes ne respectent pas leurs parents. Moi, j’ai vu l’amour entre un jeune homme sans papiers et une jeune fille née ici, mais la famille a empêché le mariage. Pourtant, QU’ILS VIENNENT DISCUTER AVEC NOUS, PARLER AVEC NOUS PENDANT AU MOINS 6 MOIS, ET LEUR VIE VA CHANGER ! Mais tant qu’ils restent assis devant la cité, la police va les fatiguer. »

« La communication entre eux et nous, c’est un peu dur. Ils ne savent pas répondre. « Toi tu es qui ? Tu es ma mère ? Tu n’es rien pour moi !! ». C’est quoi qui fait qu’ils sont comme ça ? A l’école, on leur dit : « Vous êtes des enfants d’immigrés ». Mais SI TU N’EXPLIQUES PAS A TES ENFANTS D’OU TU VIENS, TOUT CE QUE TU AS APPRIS, COMMENT TU AS QUITTÉ, PAR QUOI TU ES PASSÉ, ILS NE PEUVENT PAS SAVOIR. C’est comme une porcelaine très ancienne que tu as chez toi, mais ils ne savent pas son histoire. Avec eux, il faut aller tout doucement : ils grandissent avec le Non. S’ils disent « C’est mort », il ne faut même pas essayer ».

« Il faut dire à la jeunesse ici dont les parents ont eu la même histoire que vous, qui sont venus d’Afrique et qui sont restés sans papiers longtemps comme vous : Soyez fiers de vous, il vous manque beaucoup de choses, mais c’est vous la France. On vous traite de délinquants, de deuxième génération, de bandits. Mais il faut être fiers de vos familles et de votre histoire. »

 « Régler le problème des jeunes vrais Français et, après, celui des autres, c’est impossible ! On n’a pas les mêmes souffrances. »

« Qu’est-ce qu’on peut dire à la jeunesse ici ? Vous pouvez partir de notre expérience pour prendre le courage. Vous dites : « Ce n’est pas cette vie que je veux ». Quand on veut, on peut ; mais il faut vouloir ce qu’on peut faire, ce qu’on peut atteindre. Eux, ILS VIVENT DANS LA MEME REALITE QUE NOUS MAIS ILS LA VIVENT AUTREMENT. Ils doivent prendre le courage pour transformer leur vie. »

LA JEUNESSE QUI PART À LAVENTURE LE FAIT POUR SE FORMER

ET CHERCHE À CONSTRUIRE SA LIBERTÉ

 « J’ai appris le métier d’électricien au Mali, mais ensuite surtout au Gabon. CHEZ NOUS, CE N’EST PAS COMME ICI, TU NE VAS PAS À L’ÉCOLE POUR APPRENDRE LE MÉTIER, TU APPRENDS À COTÉ DE QUELQU’UN. J’avais suivi des cours du soir au pays, au village puis à Bamako. Après, j’ai pu travailler seul comme électricien au Gabon. Je suis resté 6 ans au Gabon. J’ai travaillé aussi comme peintre. Pour travailler, c’est mieux que le Mali : tu peux te débrouiller si tu as le métier. Dans la capitale, avec de l’argent tu peux obtenir la carte de séjour. EN ALGÉRIE, J’AI APPRIS ENCORE UN AUTRE MÉTIER : CARRELEUR. »

« Moi j’ai fait 8 ans au Gabon, avant de venir en Europe. Il y a autant d’étrangers au Gabon qu’ici, plus même. Gabon, Guinée, Angola, Mozambique, c’est là que vont beaucoup de jeunes. Quand tu restes au pays, tu ne peux pas avoir une vie normale. On va te marier avec une femme que tu n’aimes pas. QUAND TU SORS, TU AS LIBERTÉ. Je peux me marier avec qui je veux. Donc je suis libre, c’est tout. UNE VIE NORMALE, C’EST UNE VIE OU ON PEUT VIVRE AVEC LA PERSONNE QU’ON AIME, QU’ON A CHOISIE, ÇA C’EST LA JEUNESSE VRAIE. »

« J’ai déjà fait l’aventure. De 2007 à 2014, j’étais en Mauritanie. LA PLOMBERIE, J’AI APPRIS EN MAURITANIE, AVEC QUELQU’UN, À NOUAKCHOTT.

Puis, je suis revenu au Mali. En 2016, je suis reparti en Algérie, je suis resté un an et demi. J’AI CONNU REFOULEMENT ET MALTRAITANCE EN ALGÉRIE. Il y a un lieu connu des immigrés qui cherchent le travail. Dans la jeunesse algérienne il y a des jeunes qui organisent des milices contre nous. Si ces jeunes des quartiers nous trouvent là où on cherche le travail, ça va être chaud. La décision du gouvernement et de la population en Algérie : chasser les immigrés de chez eux. Ils ramènent les gens jusqu’à la frontière du Niger. Ils laissent les gens dans le désert. Tu peux mourir de faim, de soif. Si tu protestes, ils vont te tabasser, te frapper. »

« Je suis allé à l’école coranique au Mali. En 1994, mon père est décédé, j’ai seulement ma mère, je dois abandonner les études. Le frère de mon père ne veut rien payer, il me maltraite, il n’y a pas de paix entre nous. Cela ne peut pas continuer comme ça. A 20 ANS, JE CONNAIS LE MÉTIER DE FORGERON, JE SAIS FAIRE LES HACHES, LES CHARRUES, LES HOUES, LES FUSILS, JE FABRIQUE TOUT ÇA. APRÉS, JE TRAVAILLE COMME MENUISIER. Du Mali je suis passé au Maroc, puis en Espagne, puis ici. »

« Je suis allé à l’école, au collège puis au lycée. Ma famille a eu des difficultés, j’ai dû laisser l’école, je n’avais pas 15 ans. ICI JE VOUDRAIS POUVOIR FAIRE DE BONNES ÉTUDES, AMÉLIORER TOUT ÇA. Je suis d’abord parti au Gabon en 2012. J’ai voulu travailler sur un chantier, on m’a refusé, trop jeune. J’ai fait du commerce avec un Chinois. Je suis resté 4 ans avec eux : je faisais les factures pour les clients, la comptabilité. Ensuite, je suis allé du Maroc en Espagne, puis en France. »

« Je vis en Mauritanie, ma femme, sénégalaise, est chrétienne, moi je suis musulman, on a 2 enfants. MA FAMILLE NE VEUT PLUS NOUS VOIR VIVRE ENSEMBLE. ILS M’ACCUSENT DE MÉLANGER LA FAMILLE AVEC UN CHRÉTIEN. Ma femme doit partir au Sénégal, en Casamance ; moi je fais le commerce à Gorgoul, Kahidi, puis je décide de quitter la Mauritanie en bus pour le Maroc. Là, j’obtiens un visa de 8/9 mois pour l’Espagne. Je viens en France après. »

« Moi je suis venu de Mauritanie en Europe direct, en 2017. Je suis né au village, grandi au village, jamais allé à l’école. Je suis berger pour un autre. Pas payé.

Pendant un an en Espagne, j’ai travaillé chez quelqu’un, qui me paie de petites sommes de temps en temps. Pas d’avenir ni rien. Si tu n’as pas été à l’école, tu ne sais pas comment faire et gérer l’argent. Tu n’as pas de moyens de construire ta vie. JE VEUX APPRENDRE UN MÉTIER, M’EXPLIQUER AVEC LES GENS, COMPRENDRE LA LANGUE. »

« A 7 ans je suis entrée à l’école au Maroc. Ma mère me fait sortir de l’école parce que mon père est mort. JUSQU’ À 12 ANS, JE GARDE MES 4 FRÉRES, LES PLUS PETITS ONT 1 AN ET 2 ANS, MA MÉRE SORT POUR ALLER AU TRAVAIL.

Après, ma mère se remarie. Avec mon beau père, on a grandi bien, il travaille bien, il gagne sa vie bien. JE FAIS LA COUTURE ET LA BRODERIE, DANS UN ATELIER, PUIS DES BRODERIES CHEZ MOI. QUAND JE SUIS ARRIVÉE ICI, JE CHERCHE DU TRAVAIL DE COUTURE MAIS JE NE CONNAIS PAS LA COUPE, ALORS JE TRAVAILLE DANS LE MÉNAGE. J’ai été mariée au Maroc. Quand on vient ici, ma belle-mère et mon mari ne veulent pas que j’ouvre un compte pour moi. Mon mari prend l’argent que je gagne et fait n’importe quoi. Depuis 2004 j’ai fait le divorce. »

Le texte qui suit a été écrit en mars 2019 au terme de toutes ces différentes assemblées et réunions de préparation de l’Ecole des Actes. C’est l’appel d’une jeunesse qui arrive, adressé à la jeunesse née ici. Une invitation à se rencontrer et se connaître :

« NOUS VOUS INVITONS À NOTRE ASSEMBLEE PUBLIQUE

SAMEDI 23 MARS A 15H

A LA SALLE DES QUATRE CHEMINS AU  41 RUE LECUYER 

À AUBERVILLIERS, LIGNE 7

METRO : PANTIN AUBERVILLIERS QUATRE CHEMINS

IL FAUT AVOIR L’HUMANITÉ DANS NOTRE CŒUR POUR FAIRE FACE À LA SITUATION.

IL FAUT QUE NOUS-MÉMES, ON S’INTERROGE.

C’est pour ça qu’on veut se rencontrer et parler avec vous.

NOS HISTOIRES, CE NE SONT PAS DE PETITES HISTOIRES. CE SONT DES CHOSES QUI METTENT EN CAUSE L’HUMANITÉ DANS SON CŒUR.  Quand tu es dépassé par la situation, tu n’as plus les mots, mais ce qui t’arrive, tu le ressens. Ta peine, tu l’as encore. Tu vis avec. Tu ne peux jamais oublier. Quand ça t’arrive, tu es seul au monde.

CELUI QUI PART POUR CHERCHER DE L’AIDE AILLEURS, D’ABORD IL EST SEUL, COMPLÉTEMENT SEUL.

Les gens viennent ici parce que là-bas, il y a plein de problèmes familiaux.

Quand des jeunes filles ou des femmes se rebellent, forcément pour elles c’est l’exil : « Dès que tu t’opposes aux décisions de la famille, il n’y a aucune loi qui te protège. Tu dois t’enfuir. Tu ne peux pas vivre comme tu veux, si ce n’est en partant. »

Pour d’autres, c’est le climat qui est le problème, la jeunesse sort beaucoup à cause de ça, pour chercher une vie meilleure ailleurs : « Avec la sécheresse, on ne peut plus cultiver les champs ». « Tant qu’il pleut beaucoup, tu peux trouver la nourriture pour l’année, prendre soin de ta maison, et garder un peu d’argent en plus. Mais maintenant il ne pleut pas assez pour gagner la nourriture pour l’année complète ».

Un jeune qui aime étudier, qui veut pouvoir aller à l’école, il ne peut pas si la famille n’a pas d’argent pour ça. Même si tu vas aller à l’école, souvent ce n’est pas une vraie école : « Certains qui vont à l’école, ils n’arrivent pas à lire une phrase après ».

Après, même si tu as bac + 4, tu ne peux pas trouver du travail, à cause de la corruption : « Moi, après l’université, je postule pour un concours. On me fait savoir que j’aurai le concours si je verse 1 million de francs CFA ».

Les jeunes qui se débrouillent dans la mécanique, les petits commerces, doivent partir aussi : la police ne les laisse pas travailler tranquilles.

Là-bas comme ici, les gouvernements sont responsables de ce qui se passe. Mais si tu veux atteindre un but, c’est à toi d’être courageux. Pas seulement en Afrique. A un moment, il faut décider de changer tout ce système.

SI TU TE DIS : « CE N’EST PAS CETTE VIE QUE JE VEUX », ÇA IMPLIQUE LA NÉCESSITÉ DE VOULOIR CE QUE TU PEUX ATTEINDRE. TOUT ÇA PART DU COURAGE.

Par exemple : pour nous, ici, il n’y a pas de vrai travail.

Pour vous, souvent, il y a des travaux qui ne sont pas vrais.

Ici comme là-bas, il y a plein d’enfants qui sont désespérés. Car rien n’est fait pour la jeunesse. Pour avancer, notre idée c’est que nos deux jeunesses – vous qui êtes ici et nous qui avons quitté là-bas – on se rencontre et on se mette ensemble.

QUAND ON VEUT, ON PEUT, MAIS IL FAUT VOULOIR CE QU’ON PEUT FAIRE, CE QU’ON PEUT ATTEINDRE.

Vous vivez dans la même réalité que nous, mais vous la vivez autrement :

Vous êtes la France du futur, même si tous les jours on vous dit que vous êtes rien.

Nous, ce qu’on sait, c’est comment faire pousser des racines.

DONC, AVEC L’AMITIÉ, ON PEUT GRANDIR ENSEMBLE DANS NOS VIES.

A ce texte s’ajoutait cette présentation de l’Ecole des Actes :

« Dans l’Ecole, ce qu’il y a c’est l’humanité, le respect, la dignité : on vient d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud, de France, on est accueillis, on est égaux entre nous. On est comme une famille. L’Ecole, c’est notre Ambassade ! »

« On apprend ensemble le français, et à lire et à écrire. Même celui qui n’est jamais allé à l’école peut venir.

On parle aussi ensemble des problèmes de la vie des gens : le logement, le travail, les papiers, la demande d’asile, le pays, tous les soucis qu’on a dans la tête. »

« Dans l’Ecole, il y a des choses que nous, on connaît et des choses que les gens qui ont créé l’école connaissent, et que nous on ne connaît pas : sur ici, sur les lois. On peut s’aider entre nous. On partage les connaissances.

Avant d’être dans l’Ecole, on pense beaucoup parce qu’on est seul, on ne sait pas vers quoi se tourner. Quand on est dans l’Ecole, on laisse un peu le souci à la porte. »

ASSEMBLÉE PUBLIQUE DU 23 MARS 2019 

En Afrique aujourd’hui, pour avoir un métier ou une éducation, il faut quitter la famille, quitter le pays. Sinon on reste bloqué dans ce que font déjà les parents, on n’a aucune chance d’apprendre un métier et sans gagner un vrai salaire c’est impossible de construire sa vie. C’est ce que nous ont appris les réunions précédentes. Et aussi que, contrairement à ce qu’on imagine, la jeunesse africaine se déplace à l’intérieur de l’Afrique en plus grand nombre que vers l’Europe. Le Gabon, l’Algérie, la Guinée, l’Angola, le Mozambique sont les pays qui accueillent le plus de migrants venus d’autres pays africains.

Pour les jeunes nés ici, la famille ne transmet pas non plus un métier, mais pour la plupart l’école ne permet pas davantage d’en trouver un. Dans ces conditions, c’est très difficile ou même impossible d’envisager un avenir meilleur que celui de ses parents.

Donc la jeunesse est bloquée, là-bas et ici, pas pour les mêmes raisons, mais bloquée partout. Il faut trouver comment s’appuyer les uns sur les autres pour s’en sortir ensemble. L’assemblée se propose de commencer à en discuter.

PREMIÈRE QUESTION ABORDÉE :

LE ROLE DE LÉCOLE

Les enfants n’ont pas la même mentalité que leurs parents. Depuis l’âge de 3 ans, ils sont plus à l’école et entre eux que dans la famille : ils prennent la mentalité de l’école. Ils deviennent méfiants. Rentrer dans quelque chose qu’ils ne connaissent pas, c’est très difficile, très long. L’école leur apprend la honte des métiers de leurs parents : des métiers manuels, avec des petits salaires, un travail dur – la honte de ça alors que ces métiers sont à la base de la vie d’un pays. »

« On a le droit d’apprendre à respecter quelqu’un. Comment les parents peuvent être respectés ? Ici, si un policier croise quelqu’un qui est noir et qui ne ressemble pas au général de Gaulle, si tu es étranger, le point final c’est le rapatriement forcé. Les parents doivent apprendre aux enfants leurs histoires. Leurs mamans sont vues comme des esclaves. Pendant 5 jours, les enfants sont à l’école. A L’ECOLE, ON DEVRAIT POUVOIR APPRENDRE PAS SEULEMENT A CONSTRUIRE UN MUR OU A ETRE AVOCAT, MAIS COMMENT RESPECTER QUELQU’UN ET VIVRE DANS LA VIE. Il ne devrait pas y avoir de personnes mal vues dans leur travail : on doit être fier du travail qu’on fait, sinon il n’y a pas de vie. On est tous des animaux domestiques, on vit dans des maisons. Mais si on est tous avocats ou policiers, on n’aura pas de maison. Celles qui font le ménage, elles maintiennent l’esprit de propreté. Est-ce que toi-même tu as montré la valeur de ton travail à ton enfant ? »

DEUXIÈME QUESTION :

LE RAPPORT DES PARENTS À LEUR TRAVAIL ET À LEUR VIE 

 « L’éducation doit commencer à la maison. Les parents doivent montrer. Si tu ne parles pas aux enfants avec ta propre langue, jamais ils n’auront une bonne éducation. Cela crée une mauvaise idée chez les enfants. Ton père est ouvrier, ta mère est ménagère, c’est eux qui paient tout pour toi. Pourquoi tu vas demander toujours des chaussures de marque ? »

« Je travaille dans le ménage, dans les bureaux. Tous les samedis, je prends ma fille avec moi pour lui montrer le travail qui nous fait vivre toutes les deux. »

« Les jeunes ici ont des problèmes : ils voient les parents qui travaillent dans le ménage, le bâtiment. Que leurs parents fatiguent pour rien. Cette situation, ce n’est pas seulement ici, en Afrique aussi. C’est le manque d’éducation, tu ne lui as pas montré la valeur de ton métier. Si tu as montré la valeur de ton travail à l’enfant, il faut l’encourager. Avant on faisait le balayage à la main, maintenant il y a les aspirateurs. Même si tu travailles dans le bâtiment, et tu as honte, tu peux développer le travail que tu fais. Chez nous, il y a la culture : là-bas on a trouvé comment nos parents cultivent. Ici aussi il y a des cultivateurs, les enfants n’ont pas honte de leur travail, parce qu’il y a un développement ici. Au pays, ça ne bouge pas. »

« Leurs parents n’ont pas fait l’école. Ils ne connaissent que le travail de force. Ils ne veulent pas que leurs enfants fassent le travail de force, comme eux. Ils vont les laisser faire l’école, le métier, pour que demain ils puissent devenir quelqu’un, pour construire sa vie. Nous qui venons d’Afrique, nous n’avons pas choisi le métier de cultivateur. C’est pour pouvoir devenir quelqu’un demain, pour construire notre avenir. C’est ça la différence entre nous et ces enfants. »

TROISIÈME QUESTION :

LES MÉTIERS OUVRIERS, LES MÉTIERS MANUELS, SONT NÉCESSAIRES ET RESPECTABLES 

« Je vous conseille de ne pas avoir honte du travail. Tout le monde ne peut pas travailler sur un ordinateur. Il faut toujours au moins deux pieds, le patron, l’ouvrier, sinon ça ne marche pas. »

« Chaque personne dans la vie peut arriver. Tu es ménagère, tu peux avoir une formation. Oui, c’est la honte au départ d’être ménagère. Mais tu t’augmentes au fur et à mesure de ta vie, tu ne veux pas descendre. Quand je vais chez des parents ici, ils regardent partout si je n’ai pas apporté des punaises, des « niaques ». Cela me fait mal. L’enfant voit la vie dans les yeux de ses parents. »

« On peut aussi transformer le travail. Au Sénégal, dans un village au bord du fleuve, les gens ont acheté des machines, des tracteurs et des graines pour cultiver ensemble. Pour se nourrir et pour que les enfants ne quittent pas le pays sur des barques. »

 « Celui qui n’a pas étudié ne peut pas choisir le travail. Moi j’ai commencé dans le nettoyage, à la Tour Eiffel. Après, ça a été le bâtiment, le marteau-piqueur, je fais tout. On est émigré partout : ici et au pays. Si tu n’as pas de travail, pas de papier, comment tu vas manger ? »

« Ce que vous dites sur le travail, cela change ma façon de voir au quotidien : « qui a construit ça ? » On n’y pense pas, ce n’est pas intégré. Pourtant chaque objet représente le travail des autres. Il faut savoir que tout ce qu’on utilise, c’est du travail, et des gens qui ont fait ce travail. »

QUATRIÈME QUESTION :

QUEST-CE QUE CEST QUE CETTE « HONTE » DES ENFANTS PAR RAPPORT AU TRAVAIL DES PARENTS ?

« Chez nous, en Mauritanie, la plupart des parents font bergers de troupeaux pour te nourrir avec ça. Si tu as honte avec ça, il faut chercher la connaissance pour trouver un autre métier mieux que ça. Si tu restes à la maison à critiquer sans rien faire, est-ce que c’est juste ? Si tu ne crées pas un autre travail, tu ne dois pas critiquer ça. Est-ce que, si ton père était couché, tu vas avoir quelque chose ? »

« En Mauritanie, les Peuls et les Soninkés cultivent, et les Maures ont les troupeaux. Les troupeaux mangent ce que tu as cultivé. Si tu te plains à la police, tu ne seras pas entendu. Tu perds ton travail comme ça. Mais les enfants ne voient pas ça comme un travail de honte. Si tu as honte, tu dois créer autre chose. »

« S’il y a un manque de communication, les parents sont mal traités par les enfants. Même ici, cela arrive que la famille qu’on a ici ne te considère pas, toi qui arrives, comme un humain. »

 « Nous qui arrivons ici, nous sommes des hommes isolés. Quand on demande l’asile, ils vont nous traiter de menteurs. On a besoin de beaucoup de choses. On arrive et puis on n’a rien. Tu vas dormir sous l’escalier dans le foyer. Il faut que la jeunesse d’ici soit au courant de notre colère et de notre sentiment. On nous refuse l’asile, on nous coupe les 300/400 euros, comment tu vas vivre maintenant ? Le problème qui nous a fait quitter, cela fait très mal. On veut essayer de partager nos idées. Même les animaux on ne les traite pas comme nous. C’est très important de dire la vérité. Chacun est mieux chez lui. Raconter ce que tu as vécu avant de venir, c’est précieux. Les idées, il faut les donner, c’est comme le pain. »

 « Moi qui suis arrivé en France le 2 septembre 1989, je suis là pour vous encourager : un jour tu auras tes papiers. La réunion, c’est comme ça qu’on s’en sort : les soucis que tu as restent loin. Diplôme ou pas diplôme, Blanc ou pas Blanc, tu peux travailler et trouver tes papiers. »

 « Entre parents et enfants, il faut travailler l’unité. Ce n’est pas du mépris que les enfants ont pour leurs parents. Ils ont honte, mais peut-être ils ont honte parce qu’ils voient qu’ils n’arrivent pas à faire mieux que leurs parents. Alors que leurs parents ici croient que l’école va les aider à ça. »

SI CETTE DERNIÉRE HYPOTHÉSE EST JUSTE, ALORS ELLE REND ENCORE PLUS AIGUE LA QUESTION DE L’ABSENCE DE FUTUR POUR LA JEUNESSE POPULAIRE, CRUELLEMENT PRIVÉE DE POUVOIR CHOISIR ET EXERCER UN VRAI TRAVAIL.

Cela confirme l’orientation que se propose l’Ecole : IL EST IMPÉRATIF DE TRAVAILLER À RÉSOUDRE CE PROBLÉME POUR LA JEUNESSE DANS SON ENSEMBLE, de poser le principe d’un droit imprescriptible au travail pour la jeunesse qui est là comme pour celle qui arrive.

LE POINT OU NOUS EN SOMMES ARRIVÉS :

Ce que nous découvrons peu à peu, c’est qu’au plus loin qu’on ne puisse pas traiter les questions de ceux qui arrivent au nom du fait qu’il faudrait traiter d’abord celles de ceux qui sont ici, c’est le contraire qui est vrai :

c’est uniquement si on pense ces questions dans leur gravité d’ensemble qu’on peut réellement commencer à les traiter pour tous.

La conjoncture est marquée depuis septembre 2019 par la volonté de séparer et d’opposer « classes populaires » et « immigration », avec pour conséquence des mesures aggravant la ségrégation et l’ostracisation de toute la composante d’origine étrangère de la population de ce pays.

C’est une conjoncture qui cherche à instaurer un espace où il n’y aurait pas d’autre choix qu’entre la conception de Macron et celle du parti de Le Pen.

Contre cette volonté de nous diviser, il est décisif d’affirmer que l’immigration est la base depuis toujours des classes populaires, dans ce pays comme dans tous les pays. En outre, comme le dit notre appel à l’Assemblée publique du 7 décembre 2019 :

« SI C’EST POUR CRÉER LES PROBLÈMES,

LA HAINE ENTRE LES GENS, ÇA NE PEUT PAS AVANCER UN PAYS ».

« Si c’est pour faire une sorte de guerre, nous disons qu’un pays en guerre, ça ne peut pas avancer.

Si c’est pour faire des différences, ça ne fera pas non plus avancer le pays. »

« Macron ne veut plus d’étrangers en France, mais la France nous appartient, comme elle appartient à tous ceux qui ont participé à sa construction, aussi bien par leur travail que par leur participation passée à la guerre. »

« LA FRANCE SANS NOUS, C’EST UNE CATASTROPHE : IMAGINEZ CE PAYS ET QUE TOUTE L’IMMIGRATION LE QUITTE. PLUS RIEN NE MARCHE ! »

« CE QUE MOI, JE VEUX AJOUTER : NOUS L’IMMIGRÉ, ON N’A AUCUN PROBLÈME AVEC LA POPULATION. SI VOUS VOULEZ CRÉER DES PROBLÈMES ENTRE ÉTRANGERS ET POPULATION, PERSONNE N’A MONTRÉ ÇA ICI : LA POPULATION AVEC L’IMMIGRÉ N’A AUCUN PROBLÈME ».

Partout dans le monde, il y a l’immigré, partout on peut travailler ensemble.

L’Ecole des Actes vous appelle à abandonner les visions désastreuses des Macron, Le Pen et leurs semblables, et à travailler à cette idée d’un pays à construire sous le signe de l’amitié et de principes nouveaux à formuler en matière de droits des gens et d’égalité.