11. Des déclarations (et pas seulement des témoignages)

Les différentes Assemblées de l’Ecole sont un lieu collectif qui rend possible des prises de parole individuelles qui n’en restent pas à la dénonciation, au témoignage, et qui ne sont pas non plus dans le registre de la revendication. Ce sont ce que nous appelons des déclarations.

Ces déclarations, ce sont d’abord des moments où quelqu’un est capable, non pas seulement de décrire ce qui ne va pas sur un point donné de sa vie ou du monde, mais d’en tirer au moins une conséquence. C’est-à-dire d’affirmer, en regard de ce qui ne va pas, l’autre chose qui manque et dont il y a besoin que cela existe. On l’a vu à propos du travail : « On peut vivre longtemps sans papiers, mais on ne peut pas vivre longtemps sans travailler ». Conséquence affirmée : « il faut séparer le travail et les papiers ».

Redisons ici que ces déclarations ne sont pas une « interprétation » de paroles dites. Si ces paroles sont notées « à la lettre », c’est précisément parce que ce sont elles qui portent une pensée nouvelle qui doit être entendue comme telle, et non pas recouverte par une vision déjà là. Cela exige à la fois une oreille fine et une loyauté complète à l’égard de ce qui est dit et pensé. Parfois il peut arriver qu’il faille commenter et introduire ce que dit la déclaration, précisément parce qu’elle ne « parle » pas une langue déjà là.

Car une déclaration ne doit pas être confondue avec un simple témoignage. Son existence constitue, par son mode d’énonciation singulier, un réel nouveau, au présent. Le temps de la déclaration est d’abord le présent. C’est la formulation d’un principe qui est une exigence formulée au présent et pour le présent. Par ailleurs ce présent dessine aussi un futur, mais c’est encore une autre affaire, car cela engage d’autres conditions. C’est la question du « devenir dans le temps » de la déclaration.

Ainsi, dans le rapport aux patrons, aux personnels administratifs, aux juges, etc., nous sommes amenés à invoquer des exigences qui ne relèvent d’aucun article de loi, d’aucune disposition juridique établie, mais qui expriment une pensée et une subjectivité de ce que doivent être les rapports entre les institutions et les gens, entre des patrons et des ouvriers. C’est un changement de registre, qui rompt avec les relations établies dans ce qu’elles ont d’insupportable et d’inacceptable, alors qu’elles sont habituellement durement supportées ou cyniquement acceptées, parce que perçues comme obligées et donc normales.

Ce travail a des effets réels immédiats : se tenir devant l’OFPRA ou la CNDA du point de sa propre histoire sans être écrasé ou déstabilisé par le soupçon systématique de ces offices ; porter le réel de sa vie de travail lors d’un contrôle de police et d’une arrestation ; obtenir d’un patron qu’il paie l’ouvrier qu’il fait travailler sans le déclarer ; agir contre un sous-traitant qui laisse des gens travailler 3 mois sans les payer ; obtenir un temps de pause et des jours de repos –  choses qui sont aujourd’hui déniées même  à des gens qui travaillent avec des papiers ; faire reconnaître un accident du travail par la sécurité sociale ; intervenir à l’hôpital pour que la personne malade fasse comprendre sa maladie et puisse être soignée correctement ; obtenir qu’une banque accepte de vous ouvrir un compte courant avec votre passeport ; savoir comment parler avec un patron pour le convaincre de demander la régularisation de son ouvrier… Et bien d’autres choses encore.

Ces actes transforment le réel à différentes échelles, ils ont un effet de force et de courage.

Au fur et à mesure que des situations de toutes sortes sont ainsi traitées, l’émergence de déclarations nouvelles, résultant du vaste travail d’enquêtes sur des questions cruciales de la vie collective, rend possible ensuite l’élaboration de Manifestes.

La différence entre déclarations et « manifeste » est une différence d’ampleur : un manifeste est possible quand un ensemble de déclarations, souvent individuelles au départ, s’accordent sur ce qui manque et nomment ce dont on a un besoin vital.

(Il existe à ce jour deux Manifestes de l’Ecole des Actes, le premier de mai 2018, le second d’octobre 2019.).


Les 12 fondamentaux de l'Ecole des Actes