3. Il n’y a pas de « migrants » : il y a des gens comme nous, qui se déplacent pour trouver un lieu où construire leur vie par le travail
Tenir compte de l’existence de lois de la vie des gens a conduit les Assemblées de l’Ecole des Actes à se proposer de transformer complètement la question que pose la présence de toute une jeunesse de provenance étrangère, envisagée par les Etats comme relevant de la catégorie de « migrants ».
Le coeur des choses, c’est d’envisager la présence des gens qui arrivent comme exigeant un élargissement et un renouvellement de l’organisation de la vie collective, dans la mesure où cette présence révèle qu’aucune des lois élémentaires de la vie des gens n’est respectée ici par les dispositions politiques, administratives et juridiques en vigueur. Le fait qu’on ne puisse pas loger quelques centaines de milliers d’arrivants qui se retrouvent à la rue pendant des années montre qu’il y a un gros problème intrinsèque du côté du logement, bien antérieur aux arrivées de personnes supplémentaires à loger. Le fait que des milliers de personnes se retrouvent à vivre parfois pendant une décennie entière sans aucun statut juridique reconnaissant leur intériorité à la situation de vie collective d’ici prouve qu’il y a un gros problème du côté du droit et des lois. Le fait qu’on refuse d’autoriser les personnes qui arrivent à chercher du travail et à travailler alors même que les patrons les recrutent à tour de bras montre qu’il y a un gros problème du côté de l’organisation du travail.
Très vite il nous est apparu que le thème de la « migration » est désastreux parce qu’il place juridiquement les gens qui arrivent sous le signe exclusif du droit d’asile, alors que la majorité d’entre eux n’en relève pas. Une fois le statut de réfugié refusé, toute cette jeunesse se retrouve « légalement » sans aucun statut juridique, forcée de travailler au noir ou avec des papiers empruntés, voire faux, afin d’avoir une chance, peut-être, après de longues années d’errance, de trouver un patron acceptant de demander aux préfectures la régularisation pour les employer définitivement. Ajoutons que cette régularisation par le travail ne constitue en rien un véritable droit, puisqu’après la promulgation du CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile) en 2006 détruisant tout droit réel à la régularisation, c’est une simple circulaire de 2012 qui a ouvert la possibilité pour les préfectures d’attribuer un titre de séjour, à la demande des patrons, dans les secteurs dits « en tension », c’est-à-dire tout ce qui concerne le travail ouvrier non délocalisable, où il y a besoin de beaucoup de main d’œuvre. Les préfectures décident donc d’octroyer une carte « salarié » « au cas par cas » et « à titre exceptionnel », gardant ainsi la possibilité de refuser l’attribution d’un titre de séjour. En outre, les gens sont dépossédés de la possibilité de faire eux-mêmes la demande, puisque la demande de papiers est entre les mains des patrons, et relève du rapport entre patrons et préfectures. Ces papiers liés au travail et au bon vouloir des patrons, loin de constituer un droit, relèvent en fait du pouvoir discrétionnaire des préfectures. En outre cette possibilité n’est ouverte qu’au bout de 3 ans minimum, voire 5, et sur présentation de fiches de paie en bonne et due forme.
Partout il y a des jeunesses en mouvement qui cherchent à se construire une vraie vie.
Nous en avons conclu que la jeunesse contemporaine qui se déplace à échelle mondiale doit cesser d’être traitée comme une foule indifférenciée, relevant au mieux de dispositions humanitaires. Elle est au contraire le point d’appui possible d’un renouvellement en profondeur de la vie collective, en vue de construire un monde plus juste où elle ait toute sa place, au même titre que quiconque déjà là. Car ce qu’il s’agit de mettre en oeuvre pour la jeunesse qui arrive est cela même qui doit réparer les manques pour la jeunesse ici.
Il est absolument catastrophique que dans la plupart des pays européens 25% de la jeunesse soit exclue du travail. Comme le découvrent les nouveaux arrivants, lorsque l’obtention d’un titre de séjour leur rend soudain plus difficile, et non pas plus facile, de trouver un travail. Nous voudrions travailler à une déclaration et à un programme de mise en oeuvre d’un droit de la jeunesse à travailler, à contribuer activement au destin des pays et de l’Union. Cela renverse, comme toujours quand l’Ecole avance bien, la pétition de principe qui consiste à dire : « Nous ne pouvons pas donner du travail aux jeunes migrants quand c’est la jeunesse de notre pays elle-même qui n’a pas de travail ». Cela la renverse vers cette autre déclaration : « Ce qu’il s’agit de mettre en oeuvre pour la jeunesse migrante est cela même qui doit réparer une situation gravissime pour toute la jeunesse ici ». Car c’est bien l’accès au travail de tous les jeunes qui est en jeu.
En Afrique aujourd’hui, pour avoir un métier ou une éducation, il faut quitter la famille, quitter le pays. Sinon on reste bloqué dans ce que font déjà les parents, on n’a aucune chance d’apprendre un métier et, sans gagner un vrai salaire, c’est impossible de construire sa vie. Contrairement à ce qu’on imagine, pour se former, la jeunesse africaine se déplace d’abord à l’intérieur de l’Afrique et en bien plus grand nombre que vers l’Europe. Le Gabon, l’Algérie, la Guinée, l’Angola, le Mozambique sont les pays qui accueillent le plus de migrants venus d’autres pays africains. Pour les jeunes nés ici, la famille ne transmet pas non plus un métier, mais pour la plupart l’école ne permet pas davantage d’en trouver un. Dans ces conditions, c’est très difficile voire impossible d’envisager un avenir meilleur que celui de ses parents.
Donc la jeunesse est bloquée, là-bas et ici, pas pour les mêmes raisons, mais bloquée partout. Il faut trouver comment s’appuyer les uns sur les autres pour s’en sortir ensemble. Il y a des choses à faire immédiatement, dans le temps court, pour qu’on cesse de voir dans les rues des jeunes qui vivent en enfer, et des choses à faire dans un temps plus long, comme par exemple de réfléchir autrement, avec des architectes, le logement populaire afin qu’il puisse accueillir au mieux les nouveaux arrivants.
CE QUE NOUS VOULONS, CE QUE NOUS DÉSIRONS :
TRAVAILLER À CE QUE CE MONDE,
OÙ NOUS VIVONS ENSEMBLE TOUS,
SOIT PLUS BEAU ET JUSTE POUR TOUS.
CE MONDE NE S’ARRÊTE PAS AUX FRONTIÈRES.
CAR ON NE PEUT PAS SÉPARER CE QUE NOUS VIVONS ICI
DE CE QUI ARRIVE PARTOUT À DES ÊTRES HUMAINS COMME NOUS.
NOUS AVONS BESOIN DE CONNAÎTRE CE QUI ARRIVE POUR OUVRIR LES YEUX
AVEC CLAIRVOYANCE ET JUSTICE
SUR LE MONDE DANS LEQUEL NOUS VIVONS TOUS.